Le supercycle des matières premières
- LatamSinFiltro
- il y a 7 jours
- 6 min de lecture

En Amérique latine, le supercycle des matières premières ou boom des matières premières fait référence à la hausse des prix des matières premières (énergie, produits agricoles, minerais et combustibles) du début du XXIe siècle. Le supercycle a donné lieu à une période de croissance et de prospérité économique dans la région durant laquelle la qualité de vie des Latino-Américains s’est nettement améliorée.
On considère que ce boom des matières premières a commencé en 2003 et s'est terminé en 2008. Il y a eu d'autres cycles économiques au cours desquels les prix des matières premières ont augmenté, mais celui des années 2000 est souvent considéré comme le plus important dans la région.
On précisera également que tous les pays d'Amérique latine ne sont pas sortis gagnants de ce supercycle. Par exemple, les pays d'Amérique centrale ont moins bénéficié de cette hausse des prix que les pays d’Amérique du Sud.
Le supercycle en quelques chiffres
Entre septembre 2006 et septembre 2007, la CEPALC a enregistré une hausse de 17,8 % du prix des matières premières. Les produits énergétiques ont bénéficié de la plus forte augmentation, avec une hausse de prix de 35,2 % (CEPALC, 2007).
Entre 2000 et 2010, la croissance annuelle du PIB en Amérique latine s’élevait à 4 % (Galdino, 2019). L'indice de Gini, qui mesure les inégalités de revenus d'une population sur une échelle de 0 à 1 (0 correspondant à une égalité parfaite et 1 à une inégalité totale), a diminué, passant de 0,53 à 0,48 (ECLACSTAT, 2025).
Qu’est-ce qui a provoqué la hausse des prix des matières premières sur les marchés internationaux ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hausse de prix, mais voici les principaux :
La hausse de la demande de matières premières des principales puissances et surtout des pays en développement comme la Chine et l'Inde
Le rapide développement économique de la Chine s’est traduit par une demande accrue en matière premières. La hausse de la demande chinoise est un facteur déterminant de la montée des prix mais également de l'intensification des exportations latino-américaines vers la Chine et l'Asie en général (Jenkins, 2011). Les travaux de Jenkins montrent, qu’à la fin du supercycle, les bénéfices liés aux exportations (latinoaméricaines) de pétrole et de minéraux attribuables à la demande chinoise s'élevaient respectivement à environ 42 milliards de dollars et 75 milliards de dollars.
Spéculation sur les marchés de matières premières qui se comportent de plus en plus comme des marchés financiers
Depuis le début du XXIe siècle, le marché des matières premières se financiarise peu à peu : beaucoup de capital s’est accumulé sur le marché et les profits réalisés par les acteurs de ce marché proviennent davantage d’activités de spéculation financière que de la production et de la vente de matières premières.
Les investisseurs ont trouvé dans les marchés de futures une manière de diversifier leurs actifs. Les matières premières sont devenues des instruments financiers (Nadal, 2016).
Les contrats futures sur matières premières :
Les contrats futures sur matières premières sont des contrats signés entre un acheteur et un intermédiaire afin d’acheter ou de vendre une quantité de matière première (pétrole, or, cuivre…) à un prix prédéterminé et à une date future déterminée. Autrement dit, on achète un matériau qui n'a pas encore été produit avec un prix fixe qui ne peut pas fluctuer après sa production.
Par exemple, j'achète 20 tonnes de blé en 2025 au prix de 6,15 €/kg. Ces 20 tonnes seront produites en 2030. On détermine un prix en 2025, et lorsque la production sera finie en 2030, je paierai/j’aurais payé le prix déterminé en 2025.
Initialement, l'objectif de ces contrats était de :
Protéger les agriculteurs et les producteurs contre une éventuelle baisse des prix.
Protéger les acheteurs contre une éventuelle hausse des prix.
Ces contrats permettaient aux investisseurs d'atténuer l'impact des variations saisonnières sur les récoltes et des événements imprévisibles sur les prix. Cependant, les investisseurs spéculatifs ont commencé à s'intéresser à ces marchés, cherchant, par le biais de l’arbitrage financier (entre le prix au comptant actuel et le prix à termes), à maximiser les gains. L'arbitrage consiste à acheter un actif/titre « bon marché » et à le revendre ensuite à un tiers à un prix plus élevé.
Prix au comptant: le prix au comptant d'un produit ou d'une obligation est le prix convenu dans le cadre d’une transaction au moment où elle est exécutée, à l'inverse du prix à terme, qui est utilisé lorsqu'un contrat est conclu dans le présent mais que le paiement intervient à une date ultérieure.
Les investisseurs (qui achètent et vendent des contrats futures sur matières premières) choisissent de prendre une position courte ou longue :
Dans une position longue (l'investisseur achète), les investisseurs réalisent un profit si le prix de clôture du contrat (le prix à la fin de la production) est supérieur au prix initial, et perdent de l'argent s'il est inférieur.
Dans une position courte (l'investisseur vend), les investisseurs réalisent un profit si le prix de clôture du contrat est inférieur au prix initial et subissent une perte s'il est supérieur.
Les agents financiers investissent sur le marché des matières premières lorsque la conjoncture économique mondiale est favorable et investissent moins en période d'incertitude (Cheng & Xiong, 2013). L'intervention de ces agents financiers et leur comportement sur les marchés accentuent la volatilité des prix des matières premières. Lorsque les agents financiers sont plus enclins à investir sur le marché des matières premières, les prix ont tendance à augmenter ; inversement, lorsqu'ils retirent leurs capitaux du marché, les prix tendent à baisser.
Les effets du boom sur la politique latinoaméricaine

Le supercycle a également entraîné des transformations politiques majeures dans plusieurs pays de la région. Cette période de croissance coïncide avec l'émergence de nouveaux gouvernements de gauche en Amérique latine. Les recettes générées par la hausse des prix des matières premières ont permis aux gouvernements progressistes de mettre en place de nouvelles politiques sociales et redistributives pour lutter contre la pauvreté. Les résultats positifs des gouvernements de gauche ont en partie pu être réalisés grâce au boom des matières premières qui a également joué un rôle essentiel dans la stabilité politique du début des années 2000 en Amérique latine.
Le consensus des matières premières
En effet, l'augmentation de la demande et par conséquent des prix des matières premières a nettement amélioré la qualité de vie des Latino-Américains. Néanmoins, le supercycle a également accéléré le processus de désindustrialisation et de re-primarisation de la région.
Progressivement, les gouvernements de gauche ont favorisé le modèle extractiviste : les exportations du secteur primaire deviennent le pilier de l’économie en représentant la principale source de revenus pour de nombreux pays. Les programmes sociaux de l'époque sont financés par les exportations de matières premières. De même, les taux de croissance dépendent des prix des matières premières et des performances des activités extractives à faible valeur ajoutée.
Si tu veux en savoir plus sur le phénomène de re-primarisation de l'Amérique latine, c’est par ici !
Galdino associe le consensus des matières premières/commodities aux gouvernements (latino-américains) qui sont à la fois producteurs et régulateurs (ils produisent et distribuent la richesse), et aux politiques sociales destinées aux classes sociales plus vulnérables, dont le financement provient principalement des profits générés par l'exploitation de ressources non renouvelables (Galdino, 2019).
Les gouvernements de gauche progressistes ont choisi de répondre aux problématiques de pauvreté et d'inégalités socio-économiques en promouvant un modèle économique susceptible d'offrir des résultats positifs à court terme, décidant donc d'abandonner les projets d’industrialisation par substitution aux importations de la gauche plus traditionnelle des années 1960 (Galdino, 2019).
Au XXe siècle, la mise en œuvre du consensus de Washington en Amérique latine s’est traduit par des privatisations massives et par le développement des marchés financiers. Au XXIe siècle, la majorité des pays de la région adopte le consensus des matières premières et basent désormais leurs richesses sur les activités d’exploitation et d’exportation de matières premières vers les pays du centre.
#AmériqueLatine #BoomDesMatièresPremières #MatièresPremières #Supercycle #Économie #Politique #Désindustrialisation #CommerceInternational #Reprimarisation
Bibliographie:
CEPAL (2007). Balance preliminar de las economías de América latina y el Caribe. Naciones Unidas: cepal.
Cheng, Ing-Haw y Xiong, Wei (2013). “The Financialization of Commodity Markets”. NBER Working Paper, nº 19642, novembre.
Galdino, Gabriel. s/f. “CONSENSO DE LOS COMMODITIES NA AMÉRICA LATINA: a especialização no setor primário exportador como limite ao desenvolvimento econômico”. ResearchGate. 2019. https://www.researchgate.net/publication/339198594_CONSENSO_DE_LOS_COMMODITIES_NA_AMERICA_LATINA_a_especializacao_no_setor_primario_exportador_como_limite_ao_desenvolvimento_economico.
Jenkins, Rhys. El “efecto China” en los precios de los productos básicos y en el valor de las exportaciones de América Latina. Revista de la CEPAL, 2011, vol. 2011, no 103, p. 77-93.
Mayer, Jörg (2009). “The Growing Interdependence between Financial and Commodity Markets”. unctad Discussion Papers. http://unctad.org/en/Docs/osgdp20093_ en.pdf
Nadal, Alejandro. Precios de materias primas y especulación financiera. márgenes, 2016, p. 107.
