Pourquoi le Venezuela est-il pauvre alors qu'il possède les plus grandes réserves de pétrole au monde ?
- LatamSinFiltro

- 7 nov.
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Le Venezuela possède les plus importantes réserves de pétrole au monde. En 2018, la CIA estimait ces réserves à plus de 300 milliards de barils.
Le pétrole est une ressource géostratégique ; tous les pays en ont besoin pour leurs activités économiques, à tel point que plusieurs conflits géopolitiques ont éclaté à travers le monde dans le but d’obtenir le contrôle des gisements de pétrole. La demande mondiale ne cesse de croître, et l’on peut penser que les pays possédant du pétrole sont forcément riches et développés.
Eh bien non, pas tout à fait…malgré un taux de croissance économique de 5 % en 2024, au Venezuela, plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux d'inflation annuel dépasse les 200 %.
En raison de la situation politique du pays, il n’est pas facile de trouver des données officielles…Mais, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 7,9 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays espérant trouver refuge ailleurs (UNHCR, 2025).
Dans un premier temps, nous allons essayer de comprendre dans cet article comment fonctionne le secteur pétrolier au Venezuela et, dans un second temps, pourquoi les Vénézuéliens n’ont pas un meilleur niveau de vie.
Activités d'exploration et d'exploitation pétrolières au Venezuela : comment ça fonctionne ?
Le nationalisme pétrolier
Depuis l'époque de Simón Bolívar, le Venezuela a construit son « identité de nation pétrolière » (“identidad petróleo-nación” en espagnol) (Ricardo Dávila, 2005) mais cette idée s’est surtout développée pendant la dictature de Juan Vicente Gomez (1908-1935).
Tout d'abord, c’est quoi le nationalisme pétrolier ? : on peut le définir comme l’ensemble des politiques qui visent à faire du pétrole la principale source de revenus de l'État, en privilégiant les intérêts nationaux plutôt que ceux des compagnies pétrolières, notamment par la mise en place de redevances ou d'autres avantages pour l'État. Le nationalisme pétrolier est souvent lié à l’anti-impérialisme, les deux concepts vont de pair. Le pétrole représente une fierté nationale.
Historiquement, le nationalisme pétrolier vénézuélien est bien moins radical que le nationalisme mexicain, par exemple.
Le pétrole est un thème central de tous les discours politiques et a même servi à instaurer et à renforcer la démocratie au Venezuela durant la seconde moitié du XXe siècle. Dans la rhétorique populiste, les revenus tirés de l’exploitation du pétrole permettraient de financer les programmes sociaux et de garantir la souveraineté du Venezuela.
Le Venezuela, un Etat pétrolier
Le début des activités d’exploration et d’exploitation de pétrole est probablement l’un des moments les plus importants de l'histoire contemporaine du Venezuela. Ces activités permettent au pays, sous-développé à l’époque, d’investir dans les infrastructures publiques, entre autres. Jusqu'au début du XXe siècle, les revenus nationaux provenaient principalement des taxes prélevées sur le café, le cacao et le cuir, les principaux produits d'exportation du pays.
Cependant, avec la deuxième révolution industrielle (1850-1914 environ), l'État vénézuélien a rapidement compris qu'il pouvait tirer profit de ses importantes réserves de pétrole et taxer davantage les différentes compagnies nord-américaines et européennes qui s'y intéressaient.
En effet, déjà depuis 1829, le sous-sol appartient à la République : les mines de pétrole appartiennent à la République bolivarienne du Venezuela et, par conséquent, l'État prélève une taxe auprès des entreprises qui louent des parcelles de terres vénézuéliennes pour leurs activités d'exploration et d'exploitation.
Ainsi donc, jusqu'en 1917, les entreprises ne payaient qu'un « loyer » à l'État, comme toi quand tu loues un appartement et que tu dois payer ton loyer chaque mois. Cependant, en 1918, le ministère du Développement, dirigé par le Dr Gumersindo Torres, décida d'imposer un autre type de taxe : une redevance pour l'octroi du droit d'exploiter des gisements appartenant à l'État.
Les entreprises doivent désormais verser un revenu au propriétaire foncier, c’est-à-dire à l'État (le loyer), et une redevance, pour le droit d’exploitation des gisements (également connu sous le nom de"royalty" ou “royalties”). Ce sont deux notions distinctes. La première relève du domaine fiscal, tandis que la seconde correspond au “versement d’une somme découlant d’une stipulation contractuelle relative à la jouissance d’un bien national” (Ricardo Dávila, 2005).
Le Venezuela est ce qu’on appelle un État rentier.
État rentier : Ce terme inventé par Hossein Mahdavy en 1970 désigne les États dont les revenus proviennent principalement d’activités primaires et d'exportation. Les Etats rentiers ont une économie généralement basée sur le modèle extractiviste et dépendent de la rente de ressources naturelles. Les revenus de l’Etat ne résultent pas de l'action d'un ensemble de facteurs de production, mais proviennent du fait que l'État est propriétaire de ressources.
En 1928, le Venezuela était le deuxième producteur de pétrole au monde.
En 1948, une réforme de la loi sur l'impôt sur le revenu a été mise en place, intégrant le principe du “fifty-fifty”, qui garantissait à l'État vénézuélien au moins 50% des bénéfices liés à la production et la vente de pétrole.
La nationalisation du secteur pétrolier
En août 1975, la loi de nationalisation du secteur pétrolier est promulguée et entre en vigueur l'année suivante. L’entreprise pétrolière d'État PDVSA (Petróleos de Venezuela S.A.) est créée à travers cette loi. L'État vénézuélien détient la totalité des actions de cette entreprise qui relève du ministère du Pouvoir populaire pour le Pétrole et les Mines (anciennement ministère de l'Énergie et des Mines).
En effet, dans les années 1970, les multinationales qui contrôlent à l’époque les ressources réduisent leur production : en 1975, le Venezuela produisait 2,3 millions de barils par jour. Cependant, après la nationalisation, la production reprend doucement et le pic de production de PDVSA est atteint en 1998, avec 3,12 millions de barils produits chaque jour (OPEP, 2025).
Dans les années 1990, le président Rafael Caldera tente de libéraliser le secteur en autorisant des entreprises privées, comme Shell, à distribuer des hydrocarbures et leurs dérivés en respectant certaines conditions. Cependant, la Constitution de 1999 (sous le gouvernement d'Hugo Chávez) abroge ce principe et stipule que PDVSA ne peut pas être privatisée. La Constitution autorise seulement :
La création de sociétés d’économie mixtes (SEM) : des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques. Ici, la personne publique est bien évidemment PDVSA.
L’octroi de concessions pour la vente de dérivés d’hydrocarbures.
La loi de 2006 sur les hydrocarbures, mise en œuvre par le gouvernement chaviste, oblige les entreprises privées situées au Venezuela à signer un contrat de SEM avec PDVSA afin de pouvoir exploiter les ressources du pays.

L'État pétrolier au bord du gouffre
Le problème des Etats rentiers
Lorsqu'un pays possède des ressources naturelles valorisées sur le marché international, les investissements privés (nationaux et étrangers) favorisent ce secteur au détriment de tous les autres secteurs de l'économie, créant une grande instabilité économique (Gustavo, Delgado, 2016). L’État rentier dépend des profits générés par l’extraction de cette ressource et des fluctuations de son prix sur les marchés internationaux. Dans le cas du Venezuela, qui possède les plus importantes réserves de pétrole au monde, la santé de son économie dépend du prix du pétrole et de ses exportations.
Il existe un autre problème avec les États rentiers : un taux de change irréaliste et une monnaie souvent surévaluée. Le pétrole est le principal bien exporté par le Venezuela (86% de ses exportations en 2023 selon les Nations Unies). Les importantes exportations de pétrole font prendre valeur à la monnaie vénézuélienne. C’est ce qui s’est passé pour le Venezuela à la fin des années 1990 et au début du XXIème siècle.
Exemple (fictif) :
Si en 2010 1 bolívar = 1 dollar américain ; en 2025, 1 bolívar = 3,50 dollars américains. En 2025, le bolívar est désormais plus fort que le dollar.
En 2025, un Américain devra dépenser plus de dollars pour acheter un produit qui coûte toujours 1 bolivar au Venezuela. C'est ce qui arrive lorsqu'une monnaie s'apprécie.
La monnaie d'un pays s'apprécie lorsque ses exportations augmentent. Avec la hausse des exportations de pétrole, le bolivar vénézuélien s'est apprécié par rapport aux autres devises.
Pour comprendre l’impact de cette appréciation de la monnaie, il faut bien garder en tête qu'aucun investissement privé n'est réalisé dans les autres secteurs de l'économie vénézuélienne. Le gouvernement n'investit pas non plus dans le développement d'autres secteurs productifs. Or, l'investissement permet, entre autres, le développement des compétences, l'innovation et l'amélioration de la productivité, autant d'éléments essentiels pour renforcer sa compétitivité sur les marchés internationaux.
Sans investissement dans d'autres secteurs, le Venezuela ne peut être compétitif. L'appréciation de sa monnaie, due aux exportations de pétrole, rend les autres produits qu’il exporte bien moins compétitifs en termes de prix.
Autre exemple fictif:
Prix du kilo de café en 2010
Venezuela = 10 bolívares = 5 $
Colombie = 200 pesos colombiens = 5 $
appréciation du bolivar vénézuélien
Prix du kilo de café en 2025
Venezuela = 11 bolívares = 9 $
Colombie = 220 pesos colombiens = 5,50 $
Dans cet exemple, le Venezuela ne peut pas rivaliser avec la Colombie sur les prix. Voilà ce qui peut arriver lorsqu'une monnaie est surévaluée. Le taux de change ne reflète pas fidèlement la valeur réelle des prix au Venezuela ; il est beaucoup plus élevé que la normale. Le Venezuela n’exporte pas beaucoup de choses, seulement du pétrole mais en grande quantité…Pour le reste des biens ou produits qu’elle exporte, en raison d’une monnaie trop forte, leur prix est exorbitant.
Ce phénomène est ce qu’on appelle le “syndrome hollandais” ou la “la malédiction des ressources” (naturelles), un terme utilisé par l'économiste anglais Richard Auty dans son livre Industrialisation fondée sur les ressources : semer le pétrole dans huit pays en développement, publié en mars 1990. Ces deux termes désignent la « malédiction » qui s'abat sur une économie suite à la découverte et à l'exploitation des ressources naturelles.
Le secteur privé et les autres secteurs industriels sont totalement négligés par l'État. L'absence d'investissements privés s'explique par le manque de confiance des différents acteurs économiques, tant nationaux qu'étrangers. Toutes les politiques économiques mises en œuvre favorisent systématiquement le secteur pétrolier et nuisent parfois aux autres industries. Par conséquent, le niveau d’IDE (investissements directs étrangers) au Venezuela est quasi nul (aussi pour des raisons politiques). Le pays doit importer de nombreux produits faute d'avoir développé son industrie, ce qui crée un déficit commercial, une croissance économique limitée et de faible qualité. Le niveau de vie des Vénézuéliens dépend des revenus liés au pétrole.
Enfin, le modèle rentier favorise généralement le clientélisme et la corruption entre l'État et ceux qui exploitent les ressources. Les acteurs cherchent à contrôler les ressources naturelles afin de se partager les richesses produites. Ce phénomène peut être exacerbé par un régime où le pouvoir est concentré entre les mains d'une seule personne.
Le revers de la médaille de la nationalisation
Le fait que le Venezuela dépende des revenus pétroliers n'est pas le seul obstacle à son développement économique. Le Venezuela dépend des revenus d’une activité qu’il ne réalise même plus.
Production de pétrole du Venezuela (mb/jour)

Comme on peut le voir sur ce graphique, la production de pétrole a augmenté de 1990 à environ 2015. Au début des années 2000, le Venezuela bénéficie du supercycle des matières premières, dont j’ai l'habitude de vous parler sur Latam Sin Filtro, et donc de l’augmentation du prix du pétrole, augmentant logiquement les recettes de l'État. Cependant, cet argent n'est pas réinvesti dans le secteur pétrolier, mais est principalement utilisé pour financer la révolution chaviste et les politiques sociales du gouvernement Chavez.
Le problème majeur est qu'avec la nationalisation, l'État est devenu le seul acteur du secteur pétrolier, et s'il n'investit pas, personne d'autre ne le fera. De plus, les activités d’exploration et d’exploitation du pétrole nécessitent des infrastructures modernes, des équipements de pointe, une main-d'œuvre qualifiée, etc. Sans investissement, les quantités produites ne peuvent être maintenues.
Les politiques sociales mises en œuvre par le gouvernement Chávez ont eu des effets positifs à court terme. Néanmoins, étant donné que près de 90 % des recettes de l'État proviennent des exportations de pétrole (CNUCED, 2025), un manque d'investissement dans ce secteur entraînera à terme une baisse de la production et des exportations, privant ainsi l'État de ressources pour la mise en œuvre de telles mesures.
Force est de constater que depuis 2020, les niveaux de production ont été extrêmement bas. Le Venezuela ne produit pratiquement pas de pétrole et, puisque le gouvernement n’a jamais œuvrer dans le but de développer d'autres activités productives, le pays ne produit ni n'exporte “rien” et doit “tout” importer.
Selon les chiffres de l'ONU, en 2023, le Venezuela a enregistré un déficit commercial de plus de 8,368 milliards de dollars (CNUCED, 2025). Le gouvernement Maduro s'est endetté pour pouvoir couvrir toutes les dépenses publiques nécessaires. On manque cruellement de données officielles sur la situation au Venezuela, mais le pays est en situation de défaut de paiement depuis 2017 (Pérez F, MacQuhae, 2024), c'est-à-dire que le Venezuela n'est plus en mesure de rembourser ses dettes. D’après les travaux de Pérez et MacQuhae, sa dette extérieure représente plus de 60 milliards de dollars.
Enfin, depuis la nationalisation, les résultats de la participation fiscale des recettes pétrolières sont en baisse (Lander, 2005). Depuis la création de PDVSA, les impôts liés aux recettes pétrolières n'ont cessé de diminuer. La bureaucratie, la corruption, le clientélisme et les pots-de-vin sont les principales causes de ce déclin. PDVSA donne de moins en moins à l’Etat ce qu’elle est censée lui donner.

Pour conclure, on a pu voir que posséder d'importantes réserves de ressources naturelles n'est pas toujours synonyme de richesse ou de développement économique. De plus, un pays peut enregistrer une croissance économique mais mal redistribuer la richesse créée.
Si un Etat pouvait réellement faire faillite, le Venezuela aurait déjà fait faillite depuis quelques années maintenant. Ses réserves de change sont presque à sec, son déficit commercial se creuse, sa dette extérieure a explosé, et il ne reste plus d'argent pour mettre en œuvre des politiques pour lutter contre la pauvreté. De plus, les sanctions imposées par les États-Unis depuis 2017 empêchent le Venezuela d'accéder à la plupart des marchés financiers internationaux. La pauvreté et l'insécurité alimentaire, voilà la réalité de ce pays d’Amérique latine qui possède les plus importantes réserves de pétrole au monde.
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Bibliographie :
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