Le latifundisme en Amérique latine
- LatamSinFiltro
- 29 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai

Le latifundisme est un concept clé permettant de comprendre les problèmes actuels de répartition des terres agricoles dans la région latinoaméricaine. Ce système a eu des impacts considérables dans le temps qui continuent aujourd'hui d'influencer les systèmes agricoles des pays, étant même l'une des causes du sous-développement de la région et de la répartition très inégale des terres. Depuis la conquête espagnole et le développement des colonies, la possession de la terre en Amérique latine est liée aux notions de pouvoir et richesse[1].
Les colonies espagnoles établies en Amérique latine se caractérisent par la mise en place d'un système de domination politique et économique. L’ordre colonial espagnol a notamment mis en place un système agricole basé sur l’encomienda. Le système de castes mis en place favorisant les conquistadors, l’ordre religieux et les fonctionnaires de la couronne espagnole, leur a donné, entre autres, le droit d'occuper des terres et de forcer les indigènes (qui se situent au bas de la pyramide sociale de la colonie) à travailler dans les latifundia en échange de leur évangélisation. Selon les pays, le latifundio porte des noms différents : au Mexique, on l'appelle “hacienda” ; au Chili, en Argentine et en Uruguay, la “estancia” et au Guatemala et à Cuba, la “finca”.
Les haciendas sont donc de grandes propriétés agricoles détenues par un propriétaire souvent connu sous le nom de "caudillo" (=chef) qui exerce un pouvoir économique et politique sur les employés indigènes et les esclaves africains. Dans les haciendas, on cultivait, entre autres types de cultures, du coton, du sucre et du café. Le travail forcé était pratiqué et les travailleurs devaient payer la "mita", c’est-à-dire la taxe obligatoire pour le temps de travail. L'hacienda était comme une société fermée au sein de la colonie. A l'intérieur il y a des magasins pour acheter de tout : alcool, vêtements, armes, nourriture... Les travailleurs y habitaient et on pouvait y trouver une église ainsi qu’une chapelle. Chaque latifundio avait sa propre monnaie qui ne pouvait être utilisée qu'au sein même de l'hacienda puisque le commerce était interdit entre elles. Bien souvent d’ailleurs, les travailleurs n'étaient même pas payés en argent mais en produits que l'on pouvait trouver dans le latifundio. Les cultures étaient majoritairement destinées à l’exportation, notamment vers les grandes métropoles. Le latifundisme est un modèle précapitaliste en raison de son orientation principale vers les marchés étrangers (ici plutôt vers les grandes métropoles espagnoles d’Amérique latine et vers l’Espagne ibérique). La situation des travailleurs était très proche de l’esclavage.
Face à ces immenses exploitations agricoles, les "minifundio", c'est-à-dire de petites parcelles de terrain généralement à faible rendement appartenant à de petits producteurs locaux ne pouvaient guère rivaliser avec les latifundios. Les paysans ne trouvaient pas les stimuli économiques qui pourraient les aider à générer des bénéfices et rivaliser avec les immenses latifundios. Pour le petit paysan qui l'exploite, le minifundio est synonyme de faim et de pauvreté.
L'indépendance des pays latinoaméricains n’a pas vraiment changé la situation, au contraire, au lieu d'appartenir aux conquérants, de nombreuses terres ont été concédées aux criollos (créoles) vainqueurs des guerres d'indépendance. En réalité, les oligarchies espagnoles ont été remplacées par des oligarchies et élites créoles. Durant la première moitié du XXe siècle, la plupart des systèmes agricoles latino-américains étaient des systèmes latifundistes. Les réformes mises en œuvre à cette époque par les différents gouvernements n’ont pas provoqué de véritable changement structurel.
Aujourd’hui toujours, les systèmes agricoles de la plupart des pays d’Amérique latine sont hérités du latifundisme. Certes, ce ne sont plus les grands propriétaires fonciers qui contrôlent les terres agricoles mais plutôt les grandes entreprises agroalimentaires, les banques ou les sociétés multinationales. Le marché n’encourage pas les propriétaires à maximiser la productivité et à augmenter les investissements. Les propriétaires ne subissent pas la pression du marché puisqu’ils disposent quasiment d’un monopole. Selon un rapport réalisé en 2017 par l'ONG OXFAM[2] et cité par l'ONU et la FAO, le 1% des propriétaires fonciers latino-américains concentrent plus de la moitié des terres agricoles.
[1] Raúl Alegrett, « Évolution et tendances des réformes agraires en Amérique latine », Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 1988, https://www.fao.org/4/j0415t/j0415t0b.htm.
[2] Arantxa Guereña, « Parias : terre, pouvoir et inégalités en Amérique latine » (Oxfam International, 2016), https://www.oxfam.org/es/informes/desterrados-tierra-poder-y-desigualdad-en-america-latina.
Bibliographie:
Alegrett, Raúl. «Évolution et tendances des réformes agraires en Amérique latine.» Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 1988. https://www.fao.org/4/j0415t/j0415t0b.htm.
Carlson, Chris. «Structure agraire et sous-développement en Amérique latine: ramener le latifundio à l'intérieur». Revue de la recherche latino-américaine 54, non. 3 (septembre 2019) : 678-93. https://doi.org/10.25222/larr.860.
Chonchol, Jacques. Systèmes agraires en Amérique latine : Des agriculteurs préhispaniques à la modernisation conservatrice. Systèmes agraires en Amérique latine : Des agriculteurs préhispaniques à la modernisation conservatrice. Travaux et mémoires. Paris: Éditions de l’IHEAL, 1995. https://books.openedition.org/iheal/3107.
Dabène, Olivier, Frédéric Louault, y Aurélie Boissière. “L’Amérique latine coloniale”. Atlas, 2022, 10-11. https://shs.cairn.info/atlas-de-l-amerique-latine-polarisation-politique-et-crises--9782746763128-page-10.
Guereña, Arantxa. « Banni : terre, pouvoir et inégalités en Amérique latine. » Oxfam International, 2016. https://www.oxfam.org/es/informes/desterrados-tierra-poder-y-desigualdad-en-america-latina.
Comentarios