Destitution de Dina Boluarte au Pérou : la malédiction des présidents péruviens
- LatamSinFiltro

- 14 oct.
- 6 min de lecture

Dans la nuit du 9 octobre, le Congrès péruvien a approuvé la destitution de la présidente Dina Boluarte pour " incapacité morale permanente ". Conformément à la Constitution, puisque Dina Boluarte n’avait pas de vice-président, c’est le président du Congrès, José Jerí, avocat de 38 ans, qui a dû prêter serment. En théorie, il devra rester à la tête du pays jusqu'aux prochaines élections présidentielles qui seront célébrées en juillet 2026…Parviendra-t-il à échapper à la malédiction des présidents péruviens ?
Qu'est-ce que la destitution pour incapacité morale permanente et comment ?
1.Définition
L' incapacité morale permanente est l’une des raisons que peuvent invoquer les membres du Congrès péruviens pour destituer un président. Elle est prévue par l'article 113.3 de la Constitution politique du Pérou de 1993 (Congrès de la République, 2021).
Article 113.- Le président de la République peut être relevé de ses fonctions dans les cas suivants :
Décès du Président de la République.
Incapacité physique ou mentale permanente déclarée par le Congrès, suite à un avis médical.
Conduite incompatible avec la dignité de la fonction ou incapacité morale.
Acceptation de sa démission par le Congrès.
Quitter le territoire national sans autorisation du Congrès ou ne pas revenir dans le délai établi.
Révocation, après avoir été sanctionné pour l'une des violations sanctionnées par l'article 117 de la Constitution.
À Lima, le 1er mars 2021.
Cet article et cette procédure ont été inspirés par l’impeachment des États-Unis. Ici, le concept d'incapacité morale fait l'objet de nombreux débats. Certains affirment qu'il s'agit d'une incapacité psychologique ou mentale, d'autres défendent l'idée du manque d’éthique.
Le problème est qu'aucune constitution péruvienne ne définit ce concept ; il n'existe aucune définition ou conditions objectives. Le terme laisse grande place à l'interprétation de chacun et peut donc être utilisé à des fins politiques.
2. Les étapes de la procédure de destitution pour incapacité morale permanente
La procédure d’approbation de la destitution du président pour incapacité morale est décrite dans l’Article 89-A du Règlement du Congrès. Voilà comment ça se déroule :
Étape n°1 : La demande de destitution est faite à travers un texte (c’est un peu comme la motion de censure en France, sauf qu’ici elle porte directement sur le chef de l'Exécutif) qui doit être signé par au moins 20 % des membres du Congrès, c’est-à-dire 26 (Congrès de la République, 2025). Le document doit exposer clairement les raisons et les arguments justifiant une telle décision.
Étape n°2 : Cette “motion de censure” est prioritaire à l'ordre du jour et est examinée par le Congrès avant toute autre motion. Une copie de la demande doit être adressée au Président de la République.
Étape n°3 : Pour qu'un vote soit organisé, 40 % des membres du Congrès doivent approuver la demande. En cas d'approbation, le vote aura lieu lors de la session suivante du Congrès.
Étape n°4 : La séance plénière fixe le jour et l'heure du débat et du vote. Une fois que les membres du Congrès ont approuvé l’organisation d’un vote, il doit s’écouler 3 jours, à partir du troisième jour, le Congrès dispose d’un délai de 10 jours pour organiser le vote qui décidera de la destitution ou non du président. Durant le débat, le président de la République dispose de 60 minutes avec son avocat pour se défendre.
Dina Boluarte a refusé de se présenter devant le Congrès lors du débat.
Étape n°5 : Pour que la destitution soit approuvée, il faut le vote favorable des deux tiers du Congrès, soit 87 voix.
Étape n°6 : La décision déclarant la destitution du président prend effet immédiatement et est publiée dans le journal national officiel dans les 24 heures qui suivent.
Pourquoi le Congrès péruvien a-t-il décidé de destituer la présidente Boluarte ?
Dina Boluarte a été critiquée à plusieurs reprises par les différents partis qui critiquent “l'inaction” de la présidente face à la hausse des taux de criminalité, notamment après l'attentat du 8 octobre 2025 contre le groupe de cumbia Agua Marina dans le district de Chorrillos, qui a laissé cinq blessés.
Les membres du Congrès estiment que la présidente Boluarte n’a pas réagi en conséquence, et déplorent son attitude face à la montée et l’intensification du crime organisé.
Au Pérou, comme dans de nombreux d’autres pays, il y a des gangs et des organisations criminelles. Le Pérou est un pays par lequel transite la drogue provenant de Bolivie et destinée aux marchés américain et européen. Cependant, le concept de crime organisé est assez nouveau dans le pays (Corcuera Portugal, 2019). En 2013, la loi 30077 contre le crime organisé est promulguée; l’article 2 définit le terme d’organisation criminelle comme tel :
« ...est considéré comme organisation criminelle tout groupe de trois personnes ou plus qui partagent diverses tâches ou fonctions, indépendamment de leur structure et de leur champ d'action, de durée déterminée ou indéfinie, qui est créé, existe ou opère, sans équivoque et directement, de manière concertée et coordonnée, dans le but de commettre un ou plusieurs crimes graves indiqués à l'article 3 de la présente loi. »
Ce sont des activités d’extorsion comme des menaces, des vols, des coups de feu... Selon le rapport “Collecte et silence” publié par le ministère de l'Intérieur péruvien en 2025, entre 2020 et 2024, le nombre de plaintes pour extorsion à l’échelle nationale a augmenté de 679 %. Le rapport indique que cette augmentation témoigne non seulement d'une nette expansion de la criminalité, mais aussi d'une “transformation de son mode opératoire”. Traditionnellement, l'extorsion était associée aux gangs criminels, mais le rapport indique que même les plus petites organisations recourent désormais systématiquement à des méthodes d'extorsion. Les commerçants en sont d’ailleurs les principales victimes.
De manière globale, en 2023, la Police nationale péruvienne a signalé une augmentation de 13,2 % et de 26,1 % du nombre de signalements de tous types de délits, par rapport à 2022 et 2019, respectivement (Institut national de statistiques et de l'informatique, 2024). Les Péruviens considèrent la criminalité comme un des problèmes majeurs du pays.
La crise politique au Pérou continue
Depuis son arrivée à la tête du pays, juste après la destitution de Pedro Castillo en décembre 2022 Dina Boluarte peine à obtenir le soutien des membres du Congrès et est très peu acceptée par la population. Les médias la décrivent comme la présidente la moins populaire d'Amérique latine. Au Pérou, les partis politiques sont nombreux, mais aucun ne détient la majorité au Congrès (plus de dix partis sont représentés), ce qui rend l'approbation des projets et la prise de décision très difficiles.
Plusieurs demandes de destitution avaient déjà été soumises par le Congrès contre la présidente Boluarte mais avaient été rejetées grâce au soutien (un peu fragile) des partis conservateurs et de quelques alliés de gauche. Cette fois, la motion a été soutenue par des partis de droite comme Fuerza Popular (parti des fujimoristes) et Renovación Popular. Depuis 2016, les Péruviens ont eu sept présidents différents. Le mandat présidentiel au Pérou est de cinq ans, ce qui signifie que les Péruviens n'auraient normalement dû avoir que deux présidents. La crise politique s'exacerbe encore un peu plus…
Conclusion

Suite à la destitution de Dina Boluarte, José Jerí est donc devenu le septième président du Pérou depuis 2016. Lors de son premier discours en tant que président, ce dernier a exprimé sa volonté de prendre des mesures concrètes contre la criminalité. Cependant, il dispose de moins d'un an pour proposer et mettre en œuvre de nouvelles mesures, rendant de telles promesses très peu réalistes.
Il devra gouverner jusqu'en juillet 2026, du moins s'il parvient à rester au pouvoir jusqu'à l'année prochaine… Les élections présidentielles de 2026 seront déterminantes pour l'avenir du Pérou. Le Pérou est-il enfin prêt à mettre fin à cette longue période de chaos politique et à aller de l'avant ?
Sources :
Congreso de la República, Proyecto de Ley n°7418/2020-CR, 2021
Congreso de la República, NOTA DE INFORMACIÓN REFERENCIAL N.° 77/2024-2025-ASISP/DIP, 2025
Cobro y Silencio: La Dinámica de la Extorsión en el Perú - Informes y publicaciones - Ministerio del Interior - Plataforma del Estado Peruano. (n.d.). Retrieved October 13, 2025, from https://www.gob.pe/institucion/mininter/informes-publicaciones/7279161
Congreso de la República, Proyecto de Ley n°7418/2020-CR, 2021
Congreso de la República, NOTA DE INFORMACIÓN REFERENCIAL N.° 77/2024-2025-ASISP/DIP, 2025
Corcuera, J. (2019). Crimen organizado en Perú: crecimiento y expansión del fenómeno extorsivo a nivel nacional. Análisis Del Real Instituto Elcano ( ARI ), ISSN-e 1696-3466, No. 65, 2019, 65, 1. https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulocodigo=6951580&info=resumen&idioma=SPA
Perú: Anuario Estadístico de la Criminalidad y Seguridad Ciudadana, 2019 – 2023 - Informes y publicaciones - Instituto Nacional de Estadística e Informática - Plataforma del Estado Peruano. (n.d.). Retrieved October 13, 2025, from https://www.gob.pe/institucion/inei/informes-publicaciones/6389092-peru-anuario-estadistico-de-la-criminalidad-y-seguridad-ciudadana-2019-2023
¿Quién es José Jerí, el inesperado nuevo presidente de Perú? | CNN. (n.d.). Retrieved October 13, 2025, from https://cnnespanol.cnn.com/2025/10/10/latinoamerica/quien-es-jose-jeri-inesperado-nuevo-presidente-peru-orix




Commentaires