Le colonialisme américain à Porto Rico
- LatamSinFiltro
- 4 avr.
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Dans son dernier album, « Debí tirar más fotos », le reggaetonero (chanteur de reggaeton) portoricain Bad Bunny a rendu hommage à son île et a partagé la culture et la musique de Porto Rico avec le monde entier. Cependant, dans l’une de ses chansons le chanteur a également dénoncé le colonialisme américain ainsi que le tourisme de masse que connaît l’île depuis plusieurs années. Ce n'est pas la première fois que Benito dénonce les conditions de vie et la difficile situation politique de l’île à travers sa musique.
Porto Rico fait partie des territoires non incorporés des États-Unis, comme l'île de Guam ou les îles Mariannes du Nord. Ces territoires ne font pas partie des 50 États des États-Unis. Les États-Unis ont annexé l’île de Porto Rico en 1898 et 54 ans plus tard, en 1952, elle est devenue un territoire non incorporé du pays. Avant d'être annexée par les États-Unis, l'île appartenait à l'Empire espagnol depuis 1508. Plus de 5 siècles après sa première annexion, le colonialisme continue d’impacter les habitants de l'île. Dans quelle mesure le colonialisme existe-t-il encore à Porto Rico ?
Porto Rico, « la plus ancienne colonie du monde »
Concepts de colonialisme et de néocolonialisme

Selon l’Académie française, le colonialisme est une “notion politique et stratégique impliquant la conquête, l’administration et la mise en valeur de territoires extérieurs dont le degré de développement matériel est moindre que celui du pays colonisateur”. pouvant également se définir par “l’ensemble de relations administratives, économiques et sociales établies entre une métropole et ses colonies”.
Le colonialisme est un phénomène qui apparaît durant l'Antiquité, pratiqué pour la première fois par des puissances comme l'Égypte ancienne ou la Grèce antique ou Rome dans le but d’étendre leur “espace vital” et de trouver de nouvelles sources de gains économiques. Au XVème siècle, les Européens (Portugais et Espagnols) débarquent en Amérique et entament un long processus de colonisation, en s’appropriant les terres des populations indigènes locales. Le colonialisme était pratiqué par les grandes puissances européennes sur les territoires d'Amérique, d'Afrique et d'Asie. Il peut prendre différentes formes et avoir divers impacts sur les populations colonisées. Au début du XXème siècle, la plupart des territoires d’Afrique sont des colonies européennes. Après la Seconde Guerre mondiale et surtout à partir des années 1960, les territoires colonisés commencent à revendiquer leurs droits à l’indépendance et entreprennent, avec les puissances impérialistes, un long processus de décolonisation. Cependant, à la même époque, le terme de “néocolonialisme” apparaît peu à peu dans la littérature universitaire.
Si le colonialisme traditionnel a connu son âge d’or aux XVe-XVIIe siècles et que nombre de colonies ont obtenu leur indépendance à la fin de la première moitié du XXe siècle, les intellectuels africains théorisent dans les années 1960 le concept de néocolonialisme qui serait la continuation du colonialisme des puissances impérialistes par des moyens davantage subtiles. On peut affirmer que ce concept est étroitement lié au développement des sociétés capitalistes et du néolibéralisme dans les pays développés et impérialistes. La première définition du terme a été établie lors de la Conférence des Peuples Africains en 1961. [1]. Cette conférence a été organisée dans le but de créer un mécanisme par lequel les pays indépendants d'Afrique pourraient aider les autres colonies africaines à obtenir leur indépendance. Le néocolonialisme peut être défini comme le contrôle politique et économique indirect qu’exercent les puissances capitalistes/impérialistes/néolibérales modernes sur leurs anciennes colonies. Cette forme de colonialisme repose sur la fragilité des États nouvellement indépendants et sur leur dépendance économique à l’égard des États anciennement colonisateurs. [2]. On parle de néocolonialisme car l'objectif reste le même : créer une dépendance entre la colonie et l'État pour bénéficier d’avantages économiques. Aujourd’hui, on parle également de « recolonisation ».
Colonialisme espagnol et américain
Tout au long de l’histoire, plusieurs puissances impériales se sont intéressées aux îles de l’archipel de Porto Rico en raison de leur position géographique stratégique. Quand Christophe Colomb est arrivé à Boriquén (ancien nom de Porto Rico à l’arrivée des colons, c’est la raison pour laquelle nous appelons les Portoricains "boricuas") en 1493, il décide de changer son nom et de l'appeler San Juan Bautista. Les Espagnols s'installèrent définitivement sur l'île à partir de 1508. L’île était connue comme la « clé des Indes » (“clave de las Indias”) et constituait un port de ravitaillement des navires espagnols. La ville principale de San Juan Bautista s'appelait Porto Rico (“puerto rico”, “port riche” en français). En 1522, San Juan de Puerto Rico devint la capitale de l'île et à partir de 1582, l'île fut nommée Porto Rico. L’île constitua un soutien essentiel à l'avancée continentale des Espagnols.
Le sentiment nationaliste portoricain s'est développé parmi la population créole (“criollos”) à partir du XVIIIème siècle et qui a été alimenté par l'invasion britannique de l'île en 1797. La revendication d'une telle identité a conduit les créoles à exiger la mise en œuvre de nouvelles réformes politiques et socio-économiques, surtout à partir du XIXème siècle. Les années 1800 sont difficiles pour la couronne espagnole en raison de l'invasion française de la péninsule ibérique par Napoléon en 1808. L’empire espagnol concentrant tous ses efforts pour arrêter l'avancée française sur son territoire, les colonies en ont profité pour commencer à exiger leur indépendance. Plusieurs guerres d'indépendance ont d’ailleurs lieu en Amérique latine au XIXème siècle et la Couronne espagnole perd la quasi-totalité de ses possessions en raison de son incapacité à gérer deux conflits en même temps. Les Espagnols ont voulu à tout prix contenir les mouvements indépendantistes et révolutionnaires à Porto Rico, notamment par le biais de gouvernements assez répressifs et avec le soutien des élites esclavagistes.
Le gouvernement espagnol tenta de faire taire les revendications de plus en plus importantes des nouvelles élites créoles pour l'abolition de l'esclavage et l'indépendance, mais finit par accorder à la population la création d’un gouvernement autonome. Ce gouvernement ne durera que très peu de temps puisqu'en 1898 éclate la guerre entre les États-Unis et l'Espagne. En février 1898, un navire américain explose dans la baie de La Havane (Cuba), provoquant le conflit entre les deux puissances. Huit jours seulement après que la législature portoricaine inaugurée se réunisse pour la première fois sur l'île, les troupes américaines débarquent le 25 juillet 1898. La guerre et le débarquement américain mettent fin au gouvernement autonome accordé et marquent le début de la colonisation américaine à Porto Rico.
L’annexion de Porto Rico par les États-Unis en décembre 1898 (Traité de Paris) s’inscrit dans la vision géopolitique de l’hégémonie américaine dans les Caraïbes. Le traité établit que tous les droits, libertés et devoirs des Portoricains seront déterminés par le Congrès américain (article 9).
Si de nombreux indépendantistes et séparatistes avaient accueilli presques les bras ouverts les Américains pendant la guerre hispano-américaine dans l'espoir que ces dernières les libèrent définitivement de la couronne espagnole, beaucoup furent surpris et déçus de constater que la plus grande démocratie du monde de l’époque ne leur accorde même pas l'autonomie politique. Pire, un régime militaire fut mis en place sur l'île pendant deux ans et, du point de vue juridique, Porto Rico est un territoire appartenant aux Etats-Unis mais n’en fait pas officiellement partie. En d’autres termes, c’est une colonie.
Au cours du XXème siècle, d'une part, les États-Unis mettent en œuvre des mesures par l'intermédiaire du gouvernement local de l'île pour « américaniser » les Portoricains, notamment à travers l'apprentissage obligatoire de l'anglais dans les écoles publiques. D’autre part, les mouvements nationalistes et indépendantistes prennent de plus en plus de poids.
Bien que les Portoricains aient obtenu la citoyenneté américaine en 1917, cela n’a pas suffit à faire disparaître le sentiment nationaliste portoricain. Le Parti nationaliste portoricain (PNRC) est créé en 1922. Le chef du parti de l'époque, Pedro Albizu Campos, considère que PR doit à tout prix obtenir son indépendance, même si cela implique un conflit armé avec les États-Unis. Au fil du temps, le parti se radicalise et son objectif est d’obtenir l'autodétermination de Porto Rico. Le gouvernement local de l'île, contrôlé par les Etats-Unis, met en œuvre des mesures répressives contre le PNRC qui tente d'organiser une révolution en 1952 lors de l'adoption du statut d’Etat Libre Associé (ELA). En raison de la répression du gouvernement local, le PNRC a aujourd'hui presque disparu et n'a que peu d'importance dans la politique portoricaine.
Avec ce nouveau statut d’Etat Libre Associé, un gouverneur est élu au suffrage universel direct pour un mandat de quatre ans (précédemment élu par Washington) et est donc responsable devant le peuple portoricain. Le gouverneur nomme les 9 secrétaires des différents “ministères” (justice, santé, finances, etc.). Le pouvoir législatif est composé d'un Sénat de 27 membres et d'une Chambre des représentants de 51 membres, tous élus au suffrage universel direct. En outre, l’approbation des lois par le Congrès américain n’est plus nécessaire. Cependant, les lois fédérales américaines s'appliquent à Porto Rico et les lois locales ne peuvent aller à l'encontre de la législation fédérale. Le système judiciaire devient totalement autonome, Porto Rico possédant sa propre Cour suprême, dont les juges sont nommés par le gouverneur avec l'accord du Sénat portoricain. En 2025, Porto Rico est toujours un ELA.
Comment le néocolonialisme affecte-t-il les Portoricains aujourd’hui ?
“Je ne veux pas partir d'ici
Je ne veux pas partir d'ici
Qu’ils s’en aillent, qu’ils s’en aillent
Qu’ils s’en aillent, qu’ils s’en aillent
Ce qui m'appartient
Ils me le prennent
Qu’ils s’en aillent"
Bad Bunny, El Apagón, 2022
Ce que nous disent les données économiques
Dans le chapitre «L'économie politique du Porto Rico contemporain » livre Le (post)colonialisme à l’épreuve : Cuba, Porto Rico et les Philippines à travers une perspective comparée [3], les auteurs qualifient l'économie de PR d’ « économie qui consomme ce qu’elle ne produit pas et produit ce qu’elle ne consomme pas ».
Voyons ce que les chiffres nous disent :
Selon les données du Bureau of Economic Analysis (BEA) des États-Unis [4], en 2022, le PIB de Porto Rico était de 113 118 millions de dollars américains et son PNB était de 94 519 millions de dollars américains (différence de 18 599 millions de dollars américains). Le PIB a diminué de 2,5 % entre 2021 et 2022. Les investissements en produits de propriété intellectuelle ont diminué de 24 %, les investissements fixes de 4,6 % et les exportations de 14,6 %. Les investissements privés ont diminué de 0,2% entre 2021 et 2022.
Porto Rico bénéficie d'une balance commerciale positive avec 60 832 millions de dollars d'exportations en 2022 contre 54 126 millions de dollars d'importations. PR importe plus de biens, mais exporte plus de services. Selon les données les plus récentes du BEA, le chômage en juin 2023 a atteint 6,1%.
Plusieurs études ont démontré la pertinence d'analyser la différence entre le PIB et le PNB de Porto Rico. Rappelons d’abord ce que sont le PIB et le PNB :
Le PIB est un indicateur de la santé économique d'un territoire (monde, pays, région, etc.) et donc de sa richesse. Il représente la somme des richesses créées au cours d’une année donnée dans une région donnée. Cet indicateur inclut tous les agents économiques présents sur le dit territoire, qu'ils soient nationaux ou étrangers, mais ne prend pas en compte les richesses produites par les agents économiques en dehors de leur territoire d'origine.
Le PIB est un indicateur de la croissance économique et de la richesse d’un pays, mais il ne mesure pas le bien-être social de ses habitants.
Le PNB comptabilise la richesse créée par les entreprises et autres agents économiques de même nationalité établis sur le territoire concerné, mais aussi à l'étranger. Elle correspond donc à la production annuelle de biens et services des ressortissants d’un pays à l’intérieur et à l’extérieur de ce dernier.
Cet indicateur exclut toutefois la richesse produite par les entreprises étrangères opérant dans un pays donné. Le PNB reflète le mieux la richesse créée et donc le niveau de vie des habitants d'un pays.
Selon Juan Castaner [5], l'écart entre les deux indicateurs est révélateur de la fragilité de l'économie locale puisque l'écart représente les bénéfices générés par les particuliers et les entreprises (la majorité sont des sociétés multinationales américaines) qui opèrent à Porto Rico mais dont la résidence fiscale ne se trouve pas sur l'île. Les Portoricains bénéficient peu, pour ne pas dire qu’ils ne bénéficient pas du tout de la richesse générée par les sociétés multinationales américaines qui opèrent sur leur territoire. Normalement, l’écart entre le PIB et le PNB ne devrait pas être aussi important que celui observé pour Porto Rico.
De plus, 80 % de ce qui est consommé par les Portoricains est importé tandis que seulement 15 % des achats effectués par les entreprises multinationales proviennent d'entreprises locales. [6].
A cela s’ajoute le fait que les entreprises américaines et étrangères peuvent profiter d’une loi leur permettant (si elles remplissent les conditions nécessaires bien évidemment) de ne pas payer d’impôts à PR. Il existe à Porto Rico une loi permettant aux étrangers de ne pas payer d'impôts sur leurs investissements et leurs revenus : la « Loi visant à attirer les investisseurs individuels à Porto Rico » de 2012, connue sous le nom de Loi 22 (“ley 22”).
La loi 22 vise à “encourager toute personne n’ayant pas résidé à Porto Rico depuis au moins quinze ans avant l'approbation de la présente loi et qui maintiennent des investissements aux États-Unis ou à l'extérieur des États-Unis, établissent leur résidence à Porto Rico”. En théorie, cette loi promet d’attirer les capitaux et les investisseurs étrangers. Cela s’applique uniquement aux investisseurs résidents étrangers, mais pas aux résidents portoricains. Pour bénéficier de cette loi, une personne doit résider au moins 183 jours à Porto Rico et ne peut pas avoir résidé sur l'île entre 2006 et 2012. Cette loi l'exonère à 100 % de l'impôt sur le revenu sur tous les revenus, dividendes et intérêts et l'exonère totalement du paiement de l'impôt sur le revenu et de ses plus-values. La loi 22 profite à toutes les personnes qui déménagent de n'importe où vers PR.
Le modèle économique de Porto Rico, principalement orienté vers les investissements étrangers, génère des richesses, mais ces richesses sont mal réparties et les Portoricains n’en bénéficient que très peu, comme le démontre l'écart entre le PIB et le PNB de l'île. Selon les données du Département de la Famille de Porto Rico, 83,8% des ménages sont confrontés à des difficultés concernant leur logement : logement indécent, difficultés économiques… 54,3% des moins de 18 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. En outre, selon les données de l'Institut de statistique de Porto Rico, entre 2014 et 2018, 36 des 78 municipalités de l'Île comptaient 50 % ou plus de leur population totale vivant sous le seuil de pauvreté. Entre 2016 et 2020, 39,8 % des ménages vivaient en dessous du seuil de pauvreté.
Porto Rico : colonie moderne du 21ème siècle

Malgré le fait que Porto Rico devrait être un État « libre », les États-Unis continuent contrôler beaucoup d’aspects de la vie sur l’île. Par exemple, au niveau international, PR n'a pas de politique étrangère et ne peut pas signer de traités internationaux avec d'autres pays, avoir des représentations diplomatiques ou intégrer directement des organisations internationales. De plus, selon l'article « Porto Rico et le colonialisme au 21e siècle » écrit par Julio A. Muriente Pérez de l'Université de Porto Rico en 2022, les États-Unis ont un droit de surveillance dans plusieurs domaines, l'auteur mentionne entre autres :
Contrôle absolu des États-Unis sur l’espace aérien, maritime et terrestre de Porto Rico
Contrôle des rivières, des lacs et de tous les plans d'eau en général
Contrôle des douanes, des ports et aéroports, contrôle des personnes entrant et sortant du territoire
Imposition de lois contrôlant le trafic maritime : tout produit qui entre ou sort de Porto Rico doit passer par la marine marchande américaine
Contrôle des médias, à travers la Commission fédérale des communications
Prévalence des lois américaines sur les lois de Porto Rico : les lois votées par le Congrès américain, ainsi que les décrets établis par le président ou les décisions prises par la Cour suprême des États-Unis, s'appliquent directement au peuple portoricain. Bien que tous les quatre ans, les Portoricains élisent un gouverneur pour l'île, un commissaire représentatif à Washington et des maires, en réalité, ils manquent de pouvoirs fondamentaux et sont subordonnés au gouvernement américain. Les Portoricains ont la nationalité américaine mais ne peuvent pas participer aux élections générales américaines.
Contrôle du marché : plus de 85 % des produits alimentaires consommés par les Portoricains sont importés, provenant directement ou indirectement des États-Unis (rappelons que les importations de biens sont supérieures aux exportations de biens). L'agriculture représente moins de 1% de l'activité économique.
Imposition de la langue anglaise comme langue officielle au même niveau que l’espagnol alors que l’anglais n’était même pas langue officielle des États-Unis jusqu’en 2025.
Par ailleurs, la Loi de supervision, d’administration et de stabilité économique de Porto Rico (PROMESA) mise en œuvre en 2016 par Barack Obama pour faire face à la crise économique à Porto Rico et lui permettre de restructurer ses dettes, a encore réduit la souveraineté de l'île. Dans le cadre de cette loi, le Conseil de Surveillance et d'Administration financière a été créé, réduisant ainsi le champ d'action des entités politiques et économiques portoricaines. De même, le plan d'austérité budgétaire adopté par le Conseil a entraîné d'importantes coupes budgétaires pour les services publics (santé, éducation...).
Enfin, Porto Rico fait face, depuis maintenant plusieurs années, au phénomène de gentrification. Le concept de gentrification a été théorisé par la sociologue britannique Ruth Glass en 1963. [7] qui a étudié comment, à Londres, les personnes issues de la classe ouvrière provenant des quartiers populaires étaient « remplacées » par des personnes appartenant à des classes plus aisées. Ce phénomène se produit généralement lors d'une transformation ou d'une rénovation de l'espace urbain, entraînant le déplacement des classes populaires. De même, la gentrification entraîne une augmentation quasi mécanique des loyers accentuant le processus de sélection de la population en fonction de ses revenus. Dans la capitale de Porto Rico, à San Juan, la gentrification frappe la population avec une hausse des loyers de plus en plus rapide depuis l'ouragan Maria en 2017. La hausse des loyers et la gentrification sont principalement dues au développement des locations de courte durée (type Airbnb) à des fins touristiques. Dans les grandes villes de l’île, les modestes foyers enchaînent déménagements après déménagements.

Un système de santé inégalitaire dont le fonctionnement dépend des fonds fédéraux
Plusieurs études universitaires ont démontré les effets du colonialisme sur le système de santé portoricain et ont également démontré les effets du colonialisme sur la santé mentale des habitants de l'île.
Premièrement, le système de santé de Porto Rico, comme celui des États-Unis, a vu les dépenses de l’Etat diminuer à partir de 1970 (Etat-providence quasi inexistant). Le système de santé a été entièrement privatisé au nom de la compétitivité et de l'amélioration qualitative des services. Ce modèle ne permet pas aux plus pauvres d'accéder aux services sociaux puisqu' on le rappelle, près de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. De même, il est important de souligner que si Porto Rico a été obligé de privatiser son système de santé, les portoricains n’ont pas pu bénéficier du fameux Obamacare Act (« Affordable Care Act ») en 2010 lorsqu'il a été mis en œuvre aux États-Unis par le président démocrate de l'époque, Barack Obama.
Porto Rico est actuellement confronté à une crise médicale en raison du manque d’investissements fédéraux et du manque de médecins qui émigrent en grande partie vers les États-Unis. En général, la privatisation de secteurs essentiels tels que les transports, l'énergie et la santé a fait augmenter le coût de la vie alors que les habitants ne bénéficient pas des gains économiques générés dans le pays en raison de la mauvaise répartition des richesses. L'accès aux services et aux soins dépend du pouvoir d'achat de chacun. Un foyer à revenus élevés pourra souscrire à une assurance privée, mais le foyer à revenus faibles ou modestes (presque 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté) devra dépendre du système public de santé, système quasi inexistant.
Dans un article du Journal of Social Sciences de l'Université de Porto Rico publié en 2015 par Marinilda Rivera Diaz [8], l'auteur souligne qu'en 1952, lorsque PR a présenté sa Constitution au Congrès des États-Unis avec la Déclaration des droits contenant le droit à la santé pour tous les Portoricains, le Congrès a accepté ladite Charte à l'exception de ce droit en particulier. Le système de santé de Porto Rico dépend donc en grande partie de la bonne volonté du gouvernement américain et de ses fonds.
En outre, un article publié par les Nations Unies en 2024 affirme que le colonialisme américain à Porto Rico affecte la santé mentale des habitants. Plusieurs études scientifiques ont montré que le colonialisme rend difficile la gestion de problèmes émotionnels et que les populations colonisées ont un plus grand risque de développer des troubles dépressifs et de souffrir d'anxiété. Le colonialisme américain aurait créé un « traumatisme psychologique généralisé » à Porto Rico. L'Association psychologique de Porto Rico continuent d’alerter que « les politiques du Conseil augmentent les niveaux de pauvreté dans le pays et génèrent des conditions structurelles et systémiques de violence »[9].
Le coût de la vie, le prix du loyer et la situation politique poussent de nombreux Portoricains à émigrer, souvent vers les États-Unis (puisqu'ils ont la nationalité américaine) bien que “'ici personne ne voulait partir" et "celui qui est parti rêve de revenir” (Bad Bunny, Lo que le pasó a Hawaii, 2025).
Conclusion
En guise de conclusion, la littérature universitaire latinoaméricaine montre clairement que le néocolonialisme est un phénomène visible et concret à Porto Rico. Même si le projet d’Etat Libre Associé avait été présenté comme un statut devant conduire à long terme à l’autodétermination, en 2025 Porto Rico manque de plus en plus de souveraineté. De nombreux secteurs de l’économie portoricaine dépendent des fonds fédéraux et les États-Unis exercent encore un contrôle sur l’Île dans de nombreux domaines.
Depuis sa création en 1962, le Comité de décolonisation des Nations Unies a approuvé plusieurs résolutions sur le droit inaliénable du peuple portoricain à l'autodétermination et à l'indépendance, conformément à la résolution 1514 de l'Assemblée générale («Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux" ou "Déclaration sur la décolonisation" de 1960) et conformément au fait que Porto Rico constitue une nation d'Amérique latine et des Caraïbes ayant sa propre identité nationale. Cependant, les résolutions des Nations Unies n'ont eu aucune influence sur les États-Unis, l'un des pays membres du Conseil de sécurité de l’organisation.
De plus, si une partie de la population souhaite définir clairement le statut politique de l'île, c'est-à-dire ou intégrer les Etats-Unis en tant qu’Etat officiel ou obtenir l'indépendance, une autre partie de la population souhaite conserver le statut d’ELA mais avec des libertés et des droits supplémentaires.
En fin de compte, bien que l’île s'identifie comme un pays d'Amérique latine et des Caraïbes, la situation politique de Porto Rico a provoqué une perte progressive de son identité et de sa culture.
“Ils veulent m’enlever la rivière et aussi la plage.
Ils veulent mon quartier et ils veulent que grand-mère parte
Non, ne lâche pas le drapeau et n'oublie pas le lelolai
Je ne veux pas qu'ils te fassent ce qu’ils ont fait à Hawaï”
Bad Bunny, Lo que le pasó a Hawaii, 2025

[1] Karla Cecilia Macías Chávez, « Le néocolonialisme de nos jours : la perspective de Leopoldo Zea », Université philosophique 32, non. 65 (décembre 2015) : 81-106, https://doi.org/10.11144/Javeriana.uph32-65.ncplz.
[2] Karla Cecilia Macías Chávez, « Le néocolonialisme de nos jours : la perspective de Leopoldo Zea », Université philosophique 32, non. 65 (décembre 2015) : 81-106, https://doi.org/10.11144/Javeriana.uph32-65.ncplz.
[3] Argeo Quinones et Ian Seda-Irizarry, « L'économie politique du Porto Rico contemporain », dans Le (post)colonialisme à l’épreuve : Cuba, Porto Rico et les Philippines dans une perspective comparative, Éditorial Gedisa (Mexico), consulté le 29 mars 2025, https://www.researchgate.net/publication/354046991_La_Economia_Politica_del_Puerto_Rico_Contemporaneo.
[4] « Porto Rico GDP | U.S. Bureau of Economic Analysis (BEA) », consulté le 29 mars 2025, https://www.bea.gov/data/gdp/pib-de-puerto-rico.
[5] Juan Castaner, « L'écart entre le PNB et le PIB de Porto Rico et de la République dominicaine », 2022, https://www.researchgate.net/publication/371948872_La_Brecha_Entre_el_PNB_y_PIB_de_Puerto_Rico_y_Republica_Dominicana.
[6] Argeo Quinones et Ian Seda-Irizarry, « L'économie politique du Porto Rico contemporain », dans Le (post)colonialisme à l’épreuve : Cuba, Porto Rico et les Philippines dans une perspective comparative, Éditorial Gedisa (Mexico), consulté le 29 mars 2025, https://www.researchgate.net/publication/354046991_La_Economia_Politica_del_Puerto_Rico_Contemporaneo.
[7] Médéric Gasquet-Cyrus, “Gentrification”, Langage et société, Non. HS1 (23 septembre 2021) : 151-54, https://shs.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1-page-151?lang=fr.
[8] Marinilda Rivera Díaz, « Néolibéralisme, colonialisme et droit à la santé mentale des enfants de Porto Rico », Revue des sciences sociales 28 (1er janvier 2015) : 58-73, https://revistas.upr.edu/index.php/rcs/article/view/5057.
[9] « Porto Rico : le colonialisme américain cause des dommages émotionnels à la population, disent les psychologues | ONU Info », Nations Unies, 20 juin 2024, https://news.un.org/es/story/2024/06/1530691.
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