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Comment expliquer le déficit énergétique de la Bolivie ?

Dernière mise à jour : 2 mars


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Le modèle économique de la Bolivie a longtemps reposé sur ses exportations de gaz naturel. Or, en 2023, la Bolivie a enregistré ses pires niveaux de production de gaz depuis 2009 et les réserves de changes du pays sont à sec... Qu’est-il arrivé à la « mer de gaz[1] » bolivienne ?


Jetons un coup d’œil rapide aux chiffres :

D'une part, le gaz naturel constitue le deuxième produit plus exporté par la Bolivie en 2023, représentant 2,046 milliards de dollars et 19 % de ses exportations. Ses principaux clients sont l'Argentine et le Brésil.


Alors que les exportations de gaz naturel bolivien étaient en augmentation au début du 21ème siècle, cette tendance s'est inversée en 2014. Selon l'Institut National des Statistiques (INE), en 2013, les exportations de gaz naturel représentaient 6,113 milliards de dollars, alors qu'en 2023 elles ne représentèrent plus que 2,046 milliards de dollars, correspondant à une baisse de 67 %. De même, selon d'autres chiffres de l'INE, les exportations de gaz naturel en volume ont enregistré une baisse de 20 % entre mars 2022 et 2023 (932 millions de mètres cubes exportés en 2022 contre 748 millions de mètres cubes exportés en 2023).


D'autre part, la Bolivie importe du diesel du Chili (42%), d'Argentine (23%), du Pérou (12%) et de l'essence de Suisse (17%), d'Argentine (14%) et de Belgique (13%). Le diesel et l'essence sont les produits les plus importés par la Bolivie, représentant ensemble 2,843 milliards de dollars à la fin de 2023, une valeur supérieure à celle des exportations de gaz naturel.


Ainsi, en 2023, le déficit commercial énergétique de la Bolivie a atteint 797 millions de dollars. Ce déficit s’explique par la baisse de la production de gaz depuis une dizaine d’années. En avril 2024, l'indice général du volume de production d'hydrocarbures affiche une variation négative de 3,57 % par rapport à mars 2024 et une variation cumulée négative de 12,05 % par rapport à avril 2023.


En août 2023, le président bolivien, Luis Arce, a déclaré : « Depuis 2014 environ, la production est en déclin, elle n’a fait que chuter jusqu’à toucher le fond aujourd’hui ». En effet, le pic de production de gaz naturel a eu lieu en 2014, avec 22 187 millions de mètres cubes produits. À partir de 2015, la production a commencé à ralentir et en 2023, 13 390 millions de mètres cubes de gaz naturel ont été produits, ce qui correspond à une baisse de 40 % des niveaux de production en 9 ans.


Mais pourquoi la Bolivie produit-elle moins de gaz ?


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La Bolivie est censée bénéficier du contexte international actuel, avec la guerre en Ukraine, le prix des matières premières énergétiques a augmenté, mais il s'avère que le pays importe plus qu'il n'exporte et a maintenu ses subventions aux carburants tout en important de plus en plus, consommant toujours plus les réserves de dollars qui sont à ce jour, presque vides. Dans un tel contexte, les principaux clients de gaz bolivien, c’est-à-dire l'Argentine et le Brésil, cherchent donc des alternatives, ce qui signifie que la Bolivie pourrait perdre des parts de marché. Pour bien comprendre la situation, il nous faut un peu plus de contexte : 


En 2006, Evo Morales est devenu président et a décidé en 2007 de nationaliser les activités de production de gaz. Peu de temps après la nationalisation, le super-cycle des matières premières a commencé, au cours duquel le prix des matières premières est monté en flèche. La Bolivie, voulant profiter au maximum de la hausse des prix des hydrocarbures, a exploité ses réserves à un rythme soutenu sans investir dans des projets d'exploration pour pallier un potentiel manque futur de ressources.


Álvaro Ríos Roca, ancien ministre bolivien des hydrocarbures, a déclaré que « le secteur du gaz nécessite des investissements dans les activités d'exploration afin de disposer d'autres gisements lorsque ceux actuellement en exploitation seront épuisés, et en Bolivie, nous n’avons que très peu investi, entraînant l'épuisement des gisements ».


Il a également admis que depuis 2013, le gouvernement bolivien savait déjà que la production de gaz commencerait à diminuer à partir de 2015. Or, l'augmentation de la production nécessite au préalable d'importants investissements dans les infrastructures, notamment dans les puits et les gazoducs, impliquant de longues périodes de planification et de construction…


L'illusion générale d’une Bolivie disposant de réserves de gaz naturel illimitées a été grandement alimentée par le gouvernement Morales qui annonçait régulièrement de nouvelles initiatives d'industrialisation, de nouveaux projets d'exportation, de nouveaux contrats avec des investisseurs, sans qu’aucun des investissements nécessaires à l’exploration ne soit réalisé. Le gouvernement Morales a fait preuve d'un optimisme démesuré et irréaliste quant à la quantité de gaz disponible dans le pays.  


Bien que Morales ait déclaré en 2019 que le puits de gaz le plus important depuis 20 ans ait été découvert, on peut considérer que cette déclaration ait uniquement servi, ou du moins en grande partie, à faire taire l'opposition et les nombreuses critiques auxquelles le gouvernement Morales a dû faire face à cette époque car, en fin de compte, aucun investissement n’a été réalisé et en 2024, la Bolivie est confrontée à de graves difficultés économiques.

 

 

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Álvaro Ríos Roca a déclaré que « la capacité moyenne de production de gaz en 2024 sera de 34 MMMCD, dont nous devrons séparer 14 MMMCD nécessaires à la demande intérieure. En d'autres termes, il nous restera 10 MMMCD pour l'exportation. Ainsi, si nous nous projetons en 2029/2030, lorsque notre production atteindra 14 MMMCD, nous n'aurons plus de capacité d'exportation et nous commencerons à importer du gaz naturel ».


Si, à l'avenir, la Bolivie ne change pas de politique et maintient les subventions aux importations d'hydrocarbures, cela posera un sérieux problème sur le plan économique. De plus, les différentes municipalités du pays dépendent de la production de gaz et de sa redevance, l'IDH (impôt direct sur les hydrocarbures), qui est une taxe prélevée par l'État à chaque fois qu'une molécule de gaz est extraite pour la consommation nationale ou internationale. Avec la baisse de la production, les municipalités disposent de moins de revenus pour investir dans les infrastructures publiques et développer leur territoire.


La Bolivie a-t-elle la capacité d'investir dans des projets d'exploration ?


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Le 16 juillet 2024, Luis Arce a annoncé que la compagnie pétrolière nationale Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos (YPFB) avait découvert un gisement au nord de la région de La Paz. Des réserves potentielles de 1,7 trillion de pieds cubes ont été découvertes dans ce méga gisement. Il s'agirait de la découverte la plus importante depuis 2005, selon les propres termes du président bolivien.


Mais là encore, d'importants investissements sont nécessaires pour mener à bien l'exploration. Or, la Bolivie est confrontée à une crise de change et la présence d’entreprises étrangères est nécessaire pour investir dans ce nouveau gisement, mais le pays peine à les attirer en raison du manque d'ouverture du marché et de la lourdeur des procédures. En outre, la nationalisation du secteur en 2006 a donné lieu à la mise en place d'un cadre réglementaire favorisant largement l'État, lui assurant les revenus les plus élevés possibles, avec la mise en place d’un régime fiscal qui a découragé les entreprises étrangères à investir dans le pays, laissant de côté la question de la durabilité du secteur.


Toutefois, il convient de noter que les problèmes causés, entre autres, par la nationalisation du secteur ne signifient pas que le contrôle de l'État sur ce secteur stratégique est une mauvaise chose. La loi pourrait être réformée afin d'attirer de nouveaux investisseurs étrangers et améliorer son soutien au capital-risque[2] afin de stimuler la productivité et l’innovation dans le secteur. 


[1] Expression utilisée par l’ancien président Evo Morales (2006-2019) en mars 2019 lors de son annonce de la découverte d'un nouveau puits de gaz dans le Subandino Sur, dans les régions de Tarija et de Santa Cruz. M. Morales a qualifié cette découverte énergétique comme la « plus importante » depuis 20 ans.

[2] Le capital-risque correspond au financement de la création ou du développement d'une entreprise à risque mais à fort potentiel, sous la forme d'une prise de participation.


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