La "paix totale" en Colombie
- Latam Sin Filtro
- 23 déc. 2024
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 mars

Le conflit armé en Colombie est le reflet de nombreux problèmes structurels de la société colombienne. La répartition inégale des terres et le manque de représentation politique des citoyens sont les deux causes principales du conflit qui ronge le pays depuis plus de 60 ans. La Colombie est caractérisée par de très fortes inégalités sociales. D'une part, il y a l'élite politique latifundiste[1] qui dispose d’un pouvoir important. D'autre part, nous avons les groupes minoritaires (autochtones, afro-descendants, paysans) qui ne bénéficient pas du même accès aux services publics, des droits de propriété terrienne et qui manquent cruellement de représentation politique. Ce manque de représentation politique est illustré par l'existence, durant de longues années, de seulement deux partis politiques, le Parti libéral et le Parti conservateur. En 1956, le pacte de Benidorm a été signé entre les deux partis pour établir un système d'alternance politique entre les libéraux et les conservateurs. Ce manque de représentation politique, associé à l'exclusion socio-économique des groupes minoritaires, a entraîné l'émergence de mouvements révolutionnaires et de groupes de guérilla de gauche et de groupes paramilitaires d’extrême droite. Chaque groupe de guérilla représente une idéologie qui reflète en réalité toutes les idées et facettes de la gauche colombienne.
Au fil du temps, d'autres facteurs sont venus transformer et intensifier le conflit. Nous pensons tous directement au trafic de drogue, mais d'autres facteurs extérieurs ont également changé la nature du conflit. Pour citer quelques moments de l'histoire internationale, la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide ou la guerre contre le terrorisme ont transformé la forme du conflit armé en Colombie.
Le conflit armé colombien est une guerre sanglante. Selon la Commission de la Vérité (« Comisión de la Verdad »), entre 1985 et 2019, 450 664 personnes ont perdu la vie en raison du conflit. Les groupes paramilitaires sont responsables de 45 % des décès et les groupes de guérilla de 27 % des homicides perpétrés.[2]
Depuis son arrivée au pouvoir le 7 août 2022, le président de la Colombie, Gustavo Petro, a montré sa volonté de parvenir à ce qu'il appelle une « paix totale ». Le jour de sa victoire, il a annoncé qu'il lancerait un projet dans le but de mettre fin à la violence en Colombie par le biais de négociations avec les différents groupes armés qui existent dans le pays. Il s'agit de groupes de guérilla tels que l'Armée de libération nationale (ELN) ou les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La « paix totale » comprend la soumission à la justice de ces groupes paramilitaires et des bandes criminelles opérant dans le pays.
Quelques mois après son arrivée au pouvoir, le 26 octobre 2022, le Congrès a approuvé la loi du Président Petro, l’autorisant à entamer des négociations avec les groupes paramilitaires et les trafiquants de drogue liés au conflit. Le 4 novembre 2022, la loi de Petro est devenue la loi 2272 de 2022. Dans quelle mesure la loi de paix totale axée sur le dialogue créé-t-elle davantage de tensions et de violence en Colombie ?
La paix totale, héritière de l'Accord du Théâtre Colón
Négociations de La Havane : établissement d’une base solide pour rétablir la paix
L'État colombien avait espérer ouvrir les négociations de paix avec les Forces révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP) en 1984 et en 1998, mais en vain. Depuis 2012, les gouvernements colombiens tentent de faire avancer les pourparlers de paix avec les FARC-EP, dans l’espoir de parvenir à un accord qui mettra fin au conflit armé et parviendra à rétablir la paix dans le pays. En 2016, le gouvernement de Juan Manuel Santos est parvenu à un accord qui représente l'avancée la plus importante vers la réconciliation nationale de l’histoire du pays. Cet accord, c’est l'Accord Teatro Colón (officiellement « Accord pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable ») signé à La Havane, à Cuba. Les négociations ont été menées avec la présence de garants internationaux[3] tels que Cuba, la Norvège et le Venezuela. Les premiers à signer l'accord ont été Humberto de la Calle, à la tête de l’équipe de négociation du gouvernement, et le négociateur représentant des FARC, Iván Márquez. Cet accord est aujourd’hui inscrit dans la Constitution colombienne, sa mise en œuvre est donc obligatoire.
Cet accord inclut la démobilisation avec participation éventuelle à la vie politique des FARC, la remise des armes à l'ONU et la réincorporation dans la vie civile du groupe paramilitaire le plus ancien du continent. Grâce à cet accord, le groupe est aujourd’hui représenté par le parti politique des Comunes.[4] L'ancien groupe paramilitaire bénéficie de dix sièges au Sénat et à la Chambre des représentants jusqu’en 2026. Les régions les plus touchées par le conflit armé ont également bénéficié d'une représentation politique. 16 sièges ont été créés à la Chambre des représentants pour représenter les victimes vivant dans les territoires touchés par cette situation. De même, l'accord du théâtre Colón a permis la démobilisation de plus de 13 000 ex-combattants qui ont reçu une aide économique et psychosociale, selon les informations du gouvernement colombien.[5]
Enfin, l'accord prévoit une substitution des cultures utilisées pour le trafic de drogue, une réforme rurale pour une meilleure répartition des terres et la mise en place d'un système de justice spéciale. Cela a conduit à la mise en œuvre du Système global de vérité, de justice, de réparation et de non-répétition (« Sistema Integral de Verdad, Justicia, Reparación y no Repetición »). Ce système représente l'ensemble des mécanismes visant à garantir le droit des victimes à la vérité, à la justice et à une compensation. Le système contribue à la non-répétition du conflit. Il a été incorporé dans la Constitution politique de la Colombie en 2017. Il prévoit la création de différents organes clés.
Tout d'abord, la Juridiction spéciale pour la paix, la JEP (« Jurisdicción Especial para Paz »), un organe créé pour juger les crimes commis pendant le conflit armé et satisfaire les droits des victimes en leur offrant vérité et réparation. Ensuite, la Commission pour la vérité, la coexistence et la non-répétition (« Comisión de la Verdad, la Convivencia y la No Repetición », CEV) est une entité qui veille à « clarifier les mécanismes et les causes explicatives du conflit armé national satisfaisant le droit des victimes et de la société à la vérité »[6] et contribue à poser les bases d’une paix durable. Enfin, l’Unité de recherche des personnes disparues (« Unidad de Búsqueda de Personas dadas por Desaparecidas », UBPD) est une entité humanitaire et extrajudiciaire dédiée à la recherche personnes disparues à la suite du conflit armé.
Il convient de préciser que si un tel accord a pu être conclu, c’est principalement parce qu’à cette époque les FARC-EP avaient été fragilisées par de nombreux coups politiques et militaires et étaient donc plus propices à négocier avec l'État colombien.
Pour résumer, l’Accord du Théâtre Colon établit un cessez-le-feu bilatéral et définitif, la création de camps temporaires pour les membres des FARC, le désarmement des forces et la création d'un groupe chargé de surveiller et de superviser le respect de l’accord. Sa mise en œuvre est obligatoire car l’accord est inscrit dans la constitution colombienne. Cependant, sous le gouvernement d'Iván Duque (2018-2022), l'accord de La Havane a été mis de côté par le président malgré son obligation de l’appliquer. Le non-respect de l'accord a provoqué la colère de certains hauts commandants des FARC-EP qui ont décidé de créer une nouvelle structure connue aujourd’hui sous le nom de « dissidents des FARC ».
La paix totale, reflet de la « politique de l'amour » du gouvernement Petro
Contrairement à son prédécesseur, Gustavo Petro, depuis son arrivée au pouvoir, vise à obtenir la paix par le biais du dialogue. Il est vrai que, dans son discours de victoire, Petro évoque une « politique de l'amour ». La politique de l'amour est une politique de compréhension, de dialogue représentant le gouvernement de l'espoir et ses électeurs, qu’il appelle « la force du changement, la force de l'amour ».
L'objectif du président colombien est de rétablir la paix dans le pays par le biais de négociations avec tous les groupes armés impliqués dans un conflit qui a commencé il y a 60 ans et qui a fait des milliers de victimes. En outre, l'objectif est de condamner les bandes criminelles, telles que les trafiquants de drogue, pour leurs actes illégaux et leurs atteintes aux droits de l'homme. Les « guerilleros » de gauche se revendiquant être des organisations politiques et les autres groupes sans revendications particulières sont visés par la loi Petro. Cette dernière prévoit la participation des communautés affectées par le conflit aux négociations et promeut un modèle de coexistence pacifique pour assurer la protection des civils.
Plus précisément, la loi permet aux représentants du gouvernement Petro de mener des négociations et des dialogues avec les groupes armés illégaux. Les chefs et membres de gangs peuvent obtenir des avantages tels que des peines réduites, la garantie de non-extradition vers les États-Unis s'ils fournissent des informations pertinentes au gouvernement telles que les itinéraires des trafics de drogue, les produits illégaux qui sont vendus ou s'ils fournissent une compensation à leurs victimes, entre autres. Ces avantages permettront, en théorie, d'établir les modalités de négociation avec les membres des groupes criminels. Grâce à ces pourparlers, une solution au conflit armé doit être trouvée, les droits de l'homme doivent être respectés et les membres de ces organisations doivent être réintégrés dans la société. Lorsque les membres des groupes acceptent les conditions du gouvernement, les mandats d'arrêt délivrés contre eux sont suspendus. En septembre 2022, la Commission de paix de Colombie a annoncé que 10 groupes criminels avaient accepté le cessez-le-feu prévu par la loi.[7] Parmi eux, il convient de souligner l'État-major central (EMC), le Second Marquetalia (dissidents des FARC), el Clan del Golfo (les Forces d'autodéfense gaitanistes de Colombie), les Forces d'autodéfense de la Sierra Nevada de Santa Marta.
En réalité, la loi de « Paix totale » comprend de nombreuses mesures qui ont des objectifs différents : condamner les actes criminels, assurer la protection des civils et promouvoir l’égalité sociale en Colombie. Pour atteindre ces objectifs, la loi promeut l'alphabétisation, une réforme rurale à niveau national, la protection de l'environnement, la prise en charge des personnes vulnérables et la promotion de la culture parmi d’autres mesures. La loi prévoit également le remplacement du service militaire obligatoire par un « service social pour la paix » au cours duquel les jeunes doivent notamment promouvoir l'alphabétisation numérique dans différentes régions du pays, soutenir les victimes du conflit armé et œuvrer pour la protection de la biodiversité.
Pour mettre en œuvre ce projet, l'administration Petro a consacré une partie du budget national à la réalisation de la paix totale, en intégrant également les gouvernements régionaux et locaux. Il s'agit d'un investissement social important dans les régions et les zones qui ont été touchées par la violence et les activités criminelles et où la population n’a pas accès aux services de base. Ce sont généralement des régions marginalisées. Enfin, la loi prévoit la création de « régions de paix » afin de dialoguer avec les acteurs des groupes illégaux qui souhaitent coopérer.
En résumé, l'initiative de Petro consiste, d'une part, à respecter l'obligation constitutionnelle de mettre en œuvre les engagements de l'Accord de paix de 2016. D'autre part, il s'agit de négocier avec l'ELN et de traduire en justice les groupes armés. La paix totale repose sur le principe selon lequel la sécurité de la population colombienne dépend de la protection du droit à la vie, du bien-être socioéconomique et de la protection de l'environnement. La politique de paix totale est une politique d’État, constituant la priorité du gouvernement colombien, ce qui la différencie des politiques précédentes.
« [La paix totale] c'est un concept qui implique non seulement un dialogue simultané avec les groupes armés illégaux, mais aussi, d'une certaine manière, une rupture avec la logique des processus de paix qui ont été mené jusqu'à présent en Colombie... qui s'entend comme le dialogue entre un gouvernement et un groupe armé à la table des négociations »
- Le sénateur colombien Iván Cepeda, fondateur de Paix totale
Comme évoqué précédemment, mes premières tentatives de négociations avec les groupes dissidents ont eu lieu dans les années 1980 sans réel succès. Il y a eu 4 tentatives de négociations formelles avec les FARC avant l'accord du Teatro Colón et chaque président a géré le conflit armé de différentes manières. Le prédécesseur de Gustavo Petro, Iván Duque, a encouragé les FARC à s'attaquer aux chefs des gangs criminels. Juan Manuel Santos a passé son mandat à négocier un accord de paix avec les FARC.
La politique de Petro est une politique sans précédent dans sa méthodologie et ses principes. La politique de Petro reconnaît la multiplicité des acteurs dans le conflit armé. La loi pour la paix totale identifie deux types de groupes illégaux : les groupes armés organisés en dehors de la loi à caractère politique et les structures criminelles armées organisées (trafiquants de drogue) sans revendications politiques. Les premiers peuvent bénéficier d'une reconnaissance politique. Néanmoins, en pratique, il est difficile de déterminer si un groupe a un caractère politique, un caractère criminel, les deux ou ni l'un ni l'autre. Les structures politiques armées sont souvent impliquées dans des activités criminelles et certaines organisations criminelles prétendent avoir un caractère politique. La frontière séparant le criminel du politique est très mince. De plus, en ne reconnaissant pas le caractère politique d'un groupe qui se définit comme tel, ce dernier pourrait recourir à la violence contre le gouvernement ou contre la population en guise de représailles.
Cependant, Petro a innové en transformant la politique de paix en une véritable politique d'État, c'est-à-dire que toutes les institutions de l'État sont impliquées dans la paix totale. Chaque ministère doit établir des objectifs et mettre en place des programmes dans le cadre de la paix totale. Cela se traduit par des réformes sociales, environnementales et économiques. Le gouvernement Petro a montré son intention de mettre en place une réforme rurale qui permette de redistribuer les terres entre les populations vulnérables et de légaliser la propriété d'autres puisque selon le ministère colombien de l'Agriculture, en 2022, plus de 65% des terres du pays n'ont pas de titre de propriété.[8] Le 8 octobre 2022, le gouvernement colombien a signé un accord avec la Fédération colombienne des éleveurs de bétail (FEDEGAN) qui doit permettre l'achat et la vente de 3 millions d'hectares de terres fertiles à remettre aux paysans, en particulier aux femmes paysannes, autochtones et noires. [9]
En outre, la paix totale du président colombien met l'accent sur la population colombienne. La politique met l'accent sur la sécurité humaine, le bien-être et la prospérité de la population. La participation citoyenne y joue un rôle central. Par exemple, la loi établit des « régions de paix » qui sont les territoires les plus touchés par la violence afin que les acteurs locaux puissent dialoguer et chercher des solutions aux problèmes humanitaires à l’échelle locale. Il établit également des « zones d'emplacement temporaires » pour le désarmement des groupes se trouvant à un stade avancé des négociations, où les mandats d'arrêt contre les membres peuvent être suspendus.
Petro a adopté une approche différente de celle de ses prédécesseurs pour lutter contre la violence. Il affirme que pour lutter contre la violence en Colombie, il est nécessaire de changer précisément l'approche de la lutte contre le trafic de drogue. Il estime que le trafic de drogue ne commence pas dans les champs où les ouvriers[10] cultivent les feuilles de coca, mais dans les endroits où elles sont transformées en énormes sommes d'argent.

mise en œuvre de la paix totale : une politique ambitieuse mais irréaliste ?
L’amour rend aveugle : une politique pas assez ferme
La loi de Petro a été critiquée pour différentes raisons et de tous les côtés de l’échiquier politique, que ce soit l’opposition ou ses propres collaborateurs. D'abord, la loi a été critiquée à plusieurs reprises pour son manque de clarté, notamment au niveau de ses objectifs et de ses stratégies concrètes, rendant sa mise en œuvre très difficile. En effet, i n'y a pas de feuille de route claire permettant la mise en œuvre de la politique. Nombreux sont ceux qui critiquent et déplorent l'absence d'objectifs clairs accompagnés d'actions concrètes pour les atteindre. La paix totale prévoit des accords avec tous les groupes criminels qui existent, mais elle ne prévoit pas, par exemple, de feuille de route décrivant les étapes ou qui donne la priorité à certains groupes plus violents que d’autres. Il est difficile de savoir par où commencer ou avec qui, empêchant le gouvernement d’avancer dans les négociations.
Le projet de paix totale de Gustavo Petro est confronté à un autre problème très important. Rappelons que l'objectif principal de cette politique est de parvenir à un accord avec les groupes dissidents illégaux qui recourent la violence de manière systématique. Pour répondre à cette violence, la paix totale propose une stratégie basée sur des négociations et des discussions avec les gangs et les trafiquants de drogue. Il offre de grands avantages aux membres de gangs qui fournissent des informations et collaborent avec le gouvernement.
Pour cette raison, l'opposition politique de droite, le Centre démocratique, déplore une « apologie de la criminalité et de l'impunité »[11] car la loi permet une réduction des peines et la levée des mandats d'arrêt pour tout criminel qui fournit des informations au gouvernement. Le projet est critiqué pour avoir donné une « seconde chance » à une partie des FARC qui s'est réarmée sous les dissidents des FARC après avoir rompu les accords de paix signés sous le gouvernement du président Juan Manuel Santos (2014-2018). La réouverture des négociations promeut « la culture du repêchage »[12] selon les mots de l'ancien négociateur en chef du gouvernement à La Havane, Humberto de la Calle, car la politique de paix totale permet aux personnes qui n'ont pas respecté l'accord de paix précédent d'accepter ce nouvel accord en bénéficiant de meilleurs avantages. Même le procureur Francisco Barbota affirme que la paix totale est une loi qui gracie les criminels.
La paix totale n'est basée que sur des négociations, des discussions et non sur des actions militaires de l'armée pour mettre fin au conflit armé. Il est vrai que le ministère de la Défense n'est pas inclus dans cette politique, bien qu'il joue un rôle important à cet égard. Les actions du ministère de la Défense ne sont pas alignées sur la paix totale. Selon une étude de la fondation Idées pour la paix, au cours des trois premiers mois du gouvernement Petro, les actions des forces publiques contre les groupes criminels ont diminué de 70 %.[13]
Les échecs d'une politique de l'amour qui laisse place à encore plus de haine
Pendant ce temps, les affrontements entre groupes illégaux ont augmenté de 79% parce que ces derniers disposent de temps pour poursuivre leurs actions de violence sociale sans craindre la répression de l'armée nationale colombienne. La politique a laissé le temps à l'Armée de libération nationale (ELN) de se décentraliser, prendre le contrôle de régions et conclure des alliances avec d'autres groupes illégaux. La politique de Petro repose sur des accords progressifs, mais cela peut aboutir à des négociations sans fin qui permettent aux groupes criminels tels que l'ELN de se réorganiser et se renforcer au lieu d’accepter de rendre les armes. Ces groupes profitent de cette politique pour renforcer leur présence régionale et s’allier à d'autres groupes pour développer leur capacité opérationnelle (armement, recrutement, etc.). Cela leur permet d’avoir plus de poids et d’obtenir de meilleures concessions lors d’une éventuelle discussion avec le gouvernement.
En fin de compte, le faible rôle de l'armée dans la politique de Petro semble affaiblir le gouvernement colombien face aux gangs et aux groupes paramilitaires. Dans le cadre des négociations, le gouvernement colombien n'est pas en position de négocier car il n’exerce aucune pression sur les groupes en leur proposant simplement une levée des mandats d'arrêt et une réduction de peine s’ils acceptent de rendre les armes. Aucune menace n’est faite en cas de refus de collaboration. Il n'y a presque rien d'intéressant à négocier avec les groupes illégaux qui continuent de gagner en puissance, surtout dans les zones rurales qui constituent de réels vides juridiques. Les groupes armés profitent de la politique pour mener des activités illégales dans ces zones, telles que le trafic de drogue ou l'exploitation minière illégale. De plus, la politique de paix totale ignore totalement certains types d'actions menées par les structures de guérilla telles que les processus de recrutement des mineurs, la propagande, les violences sociales ou sexuelles.
De même, Petro n'a pas réussi à intégrer les groupes de guérilla, les paramilitaires et les gangs les plus importants dans son projet de paix. L'ELN et le Clan du Golfe[14] ne font plus partie du cessez-le-feu. L'ELN affirme qu'elle n'a jamais signé, tandis que Petro a mis fin à la trêve avec le clan du Golfe en mars 2023 après avoir découvert que le clan était impliqué dans une grève des mineurs. Ainsi, depuis la mise en œuvre de la politique de paix totale, aucun accord n'a été conclu avec l'un des gangs ou des groupes paramilitaires et de guérilla.
Enfin, la paix totale semble négliger la mise en œuvre des accords obtenus avec les FARC en 2016 à La Havane et même les FARC demandent que les points de négociation de l'accord soient mis en œuvre et respectés.
Conclusion

Gustavo Petro et son gouvernement ont mis en place une politique sans précédent pour obtenir la paix en Colombie. La politique de paix totale, centrée sur le dialogue et le caractère humain du conflit, semble être la continuation de l'accord négocié par Juan Manuel Santos, qui a été peu respecté par Iván Duque à partir de 2018. Cependant, la politique de Gustavo Petro présente plusieurs défauts. Le dialogue, constituant la seule manière légitime d’obtenir la paix crée encore plus de violence et ne place pas l'État colombien dans une position favorable dans les négociations. Est-il vraiment possible de choisir entre la force et le dialogue pour parvenir à la paix en Colombie ? Il est très difficile pour un gouvernement de mettre fin à un conflit qui tourmente le pays depuis plus de 50 ans et de mettre en œuvre de vrais changements en seulement 4 ans (durée du mandat présidentiel en Colombie) sans possibilité de réélection. Il n'est pas possible de s'assurer que les successeurs suivront la politique mise en œuvre par le gouvernement actuel, ce qui affaiblit considérablement la mise en œuvre effective d’une politique contre le conflit armé. De plus, pour mettre fin au conflit colombien, il faut d'abord accepter l'existence d'un tel conflit. En ce qui concerne le conflit armé, la mémoire historique en Colombie reste très fragile. Pendant de nombreuses années, les représentants de l'État colombien n'ont pas parlé de conflit armé. Sous la présidence d'Álvaro Uribe, par exemple, pour le président, « il n'y a pas eu un tel phénomène ». Il s'agissait de « violence généralisée de la part de groupes armés illégaux ». La question de la mémoire historique est essentielle pour comprendre l'extrême complexité de ce conflit et pouvoir avancer dans les négociations.
[1] "Latifundio, du latin latifundium, est un domaine rustique de grandes dimensions. Il s'agit d'une grande exploitation agricole qui, en général, n'utilise pas toutes ses ressources de manière efficace. La personne qui dispose d'un ou de plusieurs latifundia est connue sous le nom de latifundista. Le latifundio est un concept typique de l'Amérique latine. « Latifundio - Definicion.de », Definición.de, consulté le 11 juillet 2023 https://definicion.de/latifundio/.
[2]« Figures de la Commission vérité présentées ensemble avec le rapport final », consulté le 17 juillet 2023 https://web.comisiondelaverdad.co/actualidad/noticias/principales-cifras-comision-de-la-verdad-informe-final.
[3] Les garants des droits sont des entités ou des personnes qui ont l'obligation ou la responsabilité particulière de respecter, de promouvoir et de garantir l'exercice des droits de l'homme, ainsi que de s'abstenir de les violer. Ce terme est souvent utilisé pour désigner les acteurs étatiques, bien que les acteurs non étatiques puissent également être considérés comme des garants des droits. Renforcement des capacités des responsables | UNESCO », consulté le 14 juin 2023, https://www.unesco.org/es/node/68043.
[4] « Actualités | Archives générales de la nation », consulté le 14 juin 2023 https://www.archivogeneral.gov.co/agn/noticia/el-acuerdo-de-paz-renace-con-el-gobierno-del-cambio.
[5] « Actualités | Archives générales de la nation », consulté le 14 juin 2023 https://www.archivogeneral.gov.co/agn/noticia/el-acuerdo-de-paz-renace-con-el-gobierno-del-cambio.
[6] « Qu'est-ce que la Commission vérité ? », Commission vérité Colombie, consulté le 14 juin 2023 https://web.comisiondelaverdad.co/la-comision/que-es-la-comision-de-la-verdad.
[7] Karen Sánchez, « En quoi consiste la politique de « paix totale » du président Gustavo Petro ? », Voice of America, 8 mai 2023, https://www.vozdeamerica.com/a/en-que-consiste-politica-paz-total-gustavo-petro-/7079441.html.
[8] « Plus de 65 % des terres de la Colombie ne sont pas utilisées, a assuré le ministère de l'Agriculture », infobae, consulté le 5 juillet 2023 https://www.infobae.com/america/colombia/2022/09/28/mas-del-65-de-las-tierras-de-colombia-no-se-aprovecha-aseguro-el-ministerio-de-agricultura/.
[9] « Présidence de la République de Colombie », consulté le 5 juillet 2023 https://petro.presidencia.gov.co/.
[10] RAE-ASALE et RAE, « peón, peona | Dictionnaire de la langue espagnole », « Dictionnaire de la langue espagnole » - Édition du tricentenaire, consulté le 6 juin 2023 https://dle.rae.es/peón.
[11] Melissa Velásquez Loaiza, « Qu'est-ce que la paix totale proposée par Petro et quels groupes seraient les bienvenus ? », CNN, 27 octobre 2022 https://cnnespanol.cnn.com/2022/10/27/colombia-paz-total-petro-grupos-armados-ilegales-interes-orix/.
[12] « Dans le football, le repêchage est la dernière chance donnée à une équipe de continuer dans une compétition. » RAE-ASALE et RAE, « repêchage | Dictionnaire de la langue espagnole », « Dictionnaire de la langue espagnole » - Édition tricentenaire, consulté le 27 juin 2023, https://dle.rae.es/repechaje.
[13] Catalina Nino, « Les obstacles à la « paix totale » en Colombie | Nouvelle Société", Nouvelle Société | Démocratie et politique en Amérique latine, 6 juin 2023, https://nuso.org/articulo/305-obstaculos-paz-total-colombia/.
[14] Le Clan de Golfo, anciennement connu sous le nom de Clan Usuga ou Los Urabeños, les Forces d'autodéfense gaitanistes de Colombie est un gang criminel colombien dédié au trafic de drogue et à l'extorsion. Melissa Velásquez Loaiza, « Qu'est-ce que le Clan del Golfo ? Histoire et dirigeants de la nouvelle génération de narcotrafiquants en Colombie », CNN, 10 mai 2022, https://cnnespanol.cnn.com/2022/05/10/que-es-clan-del-golfo-historia-lideres-narcos-colombia-orix/.
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