Gestion de la crise migratoire haïtienne en République dominicaine
- LatamSinFiltro
- 18 mai
- 8 min de lecture

Depuis 2024, plusieurs manifestations contre les migrants haïtiens ont lieu en République dominicaine. Les protestants réclament, entre autres, une politique d’immigration plus sévère et l’expulsion des immigrés entrés illégalement. D’autre part, des représentants de partis de gauche ainsi que les ONG et autres organisations civiles demandent au gouvernement de respecter les droits de l’Homme des immigrés haïtiens. Dès son arrivée à la présidence en 2020, Luis Abinader a mis en place une politique d'immigration plutôt sévère, en particulier envers les Haïtiens et le 27 avril 2025 le président dominicain a annoncé le renforcement des contrôles à la frontière avec Haïti. Dans quelle mesure la situation à Haïti impacte-t-elle la République dominicaine ?
La migration haïtienne vers la République dominicaine n'est pas un phénomène récent
Haïti et la République dominicaine partagent une frontière de 380 km. Du côté haïtien, 16 communes la longe tandis qu’en République dominicaine il y a 5 provinces frontalières avec Haïti.

Haïti et la République dominicaine partagent une frontière de 380 km. Du côté haïtien, 16 communes la longe tandis qu’en République dominicaine il y a 5 provinces frontalières avec Haïti.
Il a toujours existé des mouvements de personnes entre les deux pays, mais on considère que le phénomène migratoire haïtien a réellement débuté au début du XXe siècle. [1], notamment avec le développement de l'industrie sucrière en République dominicaine qui a profité d'un contexte international favorable avec l'augmentation des investissements étrangers (principalement américains) dans le pays. Au fil du temps, la main-d'œuvre haïtienne est devenue de plus en plus abondante. À la fin du XXe siècle, la migration haïtienne, principalement liée à l'industrie sucrière, a commencé à pénétrer d'autres secteurs de l'économie dominicaine, coïncidant avec la montée des activités tertiaires dans le pays.
Selon les données de la Oficina Nacional de Estadisticas (“Le Bureau National de Statistiques”, en français) de la République Dominicaine [2], en 2014, 87% des immigrés présents en République dominicaine provenaient d'Haïti. Les hommes représentent 65% des migrants. Les femmes et les hommes haïtiens ont généralement entre 20 et 35 ans lorsqu'ils entrent en République dominicaine et recherchent en général de meilleures conditions de vie ainsi de meilleures opportunités de travail. Selon ces mêmes données, parmi les femmes immigrées haïtiennes, 51% d'entre elles sont inactives.
Données récentes concernant la migration haïtienne en République dominicaine
D’après les données du rapport « Migration en République dominicaine : contexte, défis et opportunités » publié par le PNUD Amérique Latine et Caraïbes en 2022 [3], toujours environ 86,5% de la population étrangère en RD est originaire d'Haïti.
Selon les données de l’ONU et de publications universitaires, les Haïtiens devraient représenter entre 4% et 7% de la population dominicaine. Un article universitaire publié par le Dr. Gabriel Bidegain Greising en 2019 [4] démontre qu'en 2017 5% de la population est née à Haïti. Un autre document publié par les Nations Unies en 2022 [5] basé sur des données provenant du gouvernement de la République Dominicaine et d'Haïti indique que 7% de la population de la République dominicaine est composée de migrants haïtiens et de leurs descendants. Il est possible qu’entre 2017 et 2022, en raison de la rapide dégradation de la situation politique et économique à Haïti, que la migration haïtienne se soit intensifiée. Cela n’est qu’une hypothèse.
En raison de la dégradation de la situation politique et des événements récents, une augmentation de la présence de migrants haïtiens et donc de leur poids dans la population de la RD pourrait être envisagée.
42,4% des immigrants haïtiens ont un emploi dans le secteur de la construction, de l'agriculture et du tourisme. Plus de la moitié d’entre eux vit en zone urbaine (66,4%) et l'autre partie (33,6%) vit dans les régions frontalières avec Haïti.
Enfin, on précisera tout de même que la majorité des migrants haïtiens se trouvent en situation de vulnérabilité ; ils n’ont généralement pas accès aux services publics ou à la protection sociale puisqu’une grande partie dispose d’un emploi informel. L’absence de papiers et donc de droits sur le territoire dominicain représente le principal facteur de vulnérabilité.
Mais pourquoi des milliers d’Haïtiens traversent-ils la frontière ?
Comme mentionné précédemment, il s'agit en grande partie d'une émigration économique, liée à la recherche de travail.
L’économie dominicaine représente une véritable force d’attraction pour les Haïtiens. Selon les données de la Banque Mondiale, en 2023, le PIB d'Haïti était de 19,85 milliards de dollars contre 121,44 milliards de dollars pour la République dominicaine.
En outre, le PIB par habitant en République dominicaine était de 10 717,6$ (annuels) en 2023, contre 1 705,8$ à Haïti.
La République dominicaine a enregistré une croissance économique de 2,4% en 2023 alors que l'économie haïtienne a subi une contraction de 1,9%. De plus, à Haïti, l'inflation (variation annuelle) s’élevait à 36,8% en 2023 (contre 3,3% en RD) et le chômage à 15,1% en 2024 (contre 5,5% en RD). L'ONU estime que 60 % de la population haïtienne vit en dessous du seuil de pauvreté.
Cependant, la situation économique d'Haïti n'est pas la seule raison poussant une partie de la population à traverser la frontière.
Depuis 2017, le pays connaît une grave crise politique qui a mené à l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. L'insécurité et la violence ont explosé et le nombre de bandes criminelles a grimpé en flèche. Aucune élection présidentielle n'a été célébrée à Haïti depuis 2016. Le pays n’a pas de président, la violence des bandes criminelles, notamment dans la capitale Port-au-Prince, empêche l’organisation de nouvelles élections. Un Conseil présidentiel de Transition est mis en place jusqu'à ce qu'un nouveau président soit élu.
De plus, le pays a dû faire face à la pandémie de Covid-19 en 2020, à celle du choléra en 2022 et à un tremblement de terre en août 2021.
Pour conclure, la situation à Haïti est critique.
Mesures mises en œuvre par le président Luis Abinader
Depuis 2024, des milliers de personnes et de partisans de partis de droite et d’extrême droite manifestent en République dominicaine, exigeant davantage de contrôles à la frontière avec Haïti.
Face à cela, le gouvernement a mis en œuvre en octobre 2024 une mesure visant à contrôler les flux migratoires, notamment en provenance d’Haïti. Le gouvernement dominicain s’est donné pour objectif de rapatrier jusqu'à 10 000 Haïtiens chaque semaine. En mars 2025, le gouvernement [6] a déclaré avoir rapatrié 26 659 migrants haïtiens (en théorie illégaux), soit un total de 151 883 personnes expulsées depuis octobre 2024. Plus de 250 opérations d’expulsion ont été organisées. Les manifestations se sont poursuivies en 2025, notamment celles organisées par le mouvement nationaliste Antigua Orden Dominicana (“Ancien Ordre Dominicain”, en français) qui requiert toujours un durcissement des politiques migratoires.
En avril 2025, le président Abinader est allé encore plus loin en annonçant lors d’un message à la nation télévisé, 15 mesures pour « lutter contre l’immigration illégale ». [7]. Le président a entre autres annoncé le renforcement du contrôle des frontières avec le déploiement de 860 militaires supplémentaires (en plus des 9 500 déjà déployés) aux frontières et l'accélération de la construction du mur frontalier avec Haïti. 54 kilomètres de mur ont déjà été construits, auxquels s'ajouteront 13 autres kilomètres. Le président Abinader souhaite également soumettre au Congrès national un projet de réforme de loi concernant l'immigration afin de renforcer les sanctions contre les fonctionnaires, civils et militaires qui aident les migrants à entrer illégalement sur le territoire dominicain. En outre, des bureaux de contrôle seront installés dans toutes les provinces du pays avec le recrutement de 750 nouveaux agents d'immigration. Enfin, l’une de ses mesures les plus controversées est la numéro 11 :
« Afin de contrôler l'afflux de personnes en situation irrégulière dans les hôpitaux publics, (le président Abinader) a ordonné comme onzième mesure d'établir un protocole, qui doit être prêt à être appliqué le lundi 21 avril (2025), obligeant le personnel des hôpitaux du Service National de Santé (SNS) à exiger les documents suivants : une pièce d'identité, une attestation de travail et un justificatif de domicile; De plus, des frais seront appliqués pour tous les soins prescrits.
En cas de non-respect d'une de ces conditions, a-t-il précisé, le patient sera soigné et, une fois rétabli, rapatrié immédiatement."
A cela s'ajoute la présence d’agents de l'immigration dans les 33 hôpitaux du pays qui concentrent 75% des patients étrangers sans papiers.

L'ONU a remis en question cette mesure, estimant que cette dernière pourrait dissuader les personnes vulnérables, notamment les femmes enceintes, de recourir à des soins médicaux. Des milliers de femmes ont été expulsées alors qu’elles étaient enceintes ou avaient récemment accouché. Cette mesure a également été durement critiquée par le Conseil présidentiel de transition haïtien et par le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
De même, des partis de gauche et des ONG de défense des droits de l'Homme comme le Groupe de soutien aux rapatriés et réfugiés (GARR) ou la Plateforme de défense haïtienne pour le développement alternatif (PAPDA) dénoncent des abus de la part du gouvernement dominicain et le non respect des procédures d’expulsion. Les organisations dénoncent les conditions d’expulsion des personnes plus vulnérables comme les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées. Il est possible de retrouver des témoignages de migrants haïtiens expulsés par les autorités dominicaines dans différents articles de presse (New York Times, BBC News Mundo ou encore UN News) afin de vous faire votre avis sur le sujet.

Conclusion
En guise de conclusion, la gestion des flux migratoires en provenance d’Haïti n’est pas une problématique récente en République dominicaine. Le discours de l’État dominicain est généralement axé sur la nécessité d’assurer la sécurité de la population et défendre les droits du pays face aux migrants haïtiens, souvent comparés à des criminels alors qu’ il s’agit en grande partie de populations déplacées en raison du conflit armé à Haïti. La crise à Haïti est une crise multidimensionnelle et une véritable crise humanitaire qui a conduit des milliers de personnes à émigrer vers la République dominicaine pour y trouver refuge.
Dans l’espace politique dominicain, le terme « invasion » est parfois utilisé pour parler de la crise migratoire haïtienne, ce qui, selon les données et chiffres présentés ci-dessus, semble totalement exagéré pour décrire la présence des haïtiens en RD.
Quelques un des défis s’imposant au gouvernement de la République dominicaine seront tout d’abord de garantir le respect des droits de l’Homme des migrants sans papiers mais aussi de permettre à ceux qui travaillent de manière informelle d’obtenir un droit de travail et de papiers leur permettant de rester légalement sur le territoire dominicain.
[1] Schwarz Coulange Méroné, “Elementos sociohistóricos para entender la migración haitiana a República Dominicana”, Papeles de población 24, núm. 97 (septiembre de 2018): 173–93, https://doi.org/10.22185/24487147.2018.97.29.
[2] “Perfil socio-demográfico de las inmigrantes haitianas en República Dominicana”, Oficina Nacional de Estadisticas (ONE), Mayo 2014,
[3] “La migración en la República Dominicana: contexto, retos y oportunidades”, UNDP, consultado el 13 de mayo de 2025, https://www.undp.org/es/latin-america/publicaciones/la-migracion-en-la-republica-dominicana-contexto-retos-y-oportunidades.
[4] Gabriel Bidegain Greising, “Haití: la ‘invasión’ a República Dominicana”, Población y Desarrollo - Argonautas y Caminantes 15 (el 26 de julio de 2019): 112–17, https://doi.org/10.5377/pdac.v15i0.8121.
[5] “Caracterizacion de la poblacion migrante haitiana y sus descendientes, incluyendo las que viven con VIH”, ONUSIDA, 2022, https://dominicanrepublic.un.org/sites/default/files/2022-02/TdR%20Contratacion%20Consultor%20Estudio%20Caracterizacion%20Poblacion%20Priorizada%20-%20F.pdf
[6] “DGM supera los 151 mil reconducidos a Haití desde que Abinader amplió plan de interdicción - DIRECCIÓN GENERAL DE MIGRACIÓN”, el 3 de marzo de 2025, https://migracion.gob.do/dgm-supera-los-151-mil-reconducidos-a-haiti-desde-que-abinader-amplio-plan-de-interdiccion/.
[7] “Presidente Abinader pasa revista a las 15 medidas del Gobierno para combatir la inmigración ilegal y fortalecer la soberanía nacional | Presidencia de la República Dominicana”, consultado el 13 de mayo de 2025, https://presidencia.gob.do/noticias/presidente-abinader-pasa-revista-las-15-medidas-del-gobierno-para-combatir-la-inmigracion.
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Bibliographie :
Departamento de Comunicaciones. « DGM repatría 14,633 extranjeros ilegales - DIRECCIÓN GENERAL DE MIGRACIÓN », 15 janvier 2025. https://migracion.gob.do/dgm-repatria-14633-extranjeros-ilegales/.
Coulange Méroné, Schwarz. « Elementos sociohistóricos para entender la migración haitiana a República Dominicana ». Papeles de población 24, no 97 (septembre 2018): 173‑93. https://doi.org/10.22185/24487147.2018.97.29.
« DGM supera los 151 mil reconducidos a Haití desde que Abinader amplió plan de interdicción - DIRECCIÓN GENERAL DE MIGRACIÓN », 3 mars 2025. https://migracion.gob.do/dgm-supera-los-151-mil-reconducidos-a-haiti-desde-que-abinader-amplio-plan-de-interdiccion/.
Greising, Gabriel Bidegain. « Haití: la “invasión” a República Dominicana ». Población y Desarrollo - Argonautas y Caminantes 15 (26 juillet 2019): 112‑17. https://doi.org/10.5377/pdac.v15i0.8121.
« Haití: Me deportaron a un país en el que nunca viví | Noticias ONU », 3 février 2025. https://news.un.org/es/story/2025/02/1536191.
« Migración y salud en zonas fronterizas: Haití y la República Dominicana | Comisión Económica para América Latina y el Caribe ». Consulté le 13 mai 2025. https://www.cepal.org/es/publicaciones/7232-migracion-salud-zonas-fronterizas-haiti-la-republica-dominicana.
« Presidente Abinader pasa revista a las 15 medidas del Gobierno para combatir la inmigración ilegal y fortalecer la soberanía nacional | Presidencia de la República Dominicana ». Consulté le 13 mai 2025. https://presidencia.gob.do/noticias/presidente-abinader-pasa-revista-las-15-medidas-del-gobierno-para-combatir-la-inmigracion.
UNDP. « La migración en la República Dominicana: contexto, retos y oportunidades ». Consulté le 13 mai 2025. https://www.undp.org/es/latin-america/publicaciones/la-migracion-en-la-republica-dominicana-contexto-retos-y-oportunidades.
World Bank Open Data. « World Bank Open Data ». Consulté le 13 mai 2025. https://data.worldbank.org.
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